La Révolution en Périgord (une ville sous la Terreur : Montignac)

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Montignac 1793

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Nous disposons essentiellement de deux types de sources très centrées sur la vie politique : celles du Comité de surveillance qui se met en place en mars 1793 et dont les deux registres couvrent la période printemps 1793-printemps 1794 ; celle de la Société populaire, conservée aux Archives départementales, de l’automne 1793 à la chute de Robespierre. Elles ont été, on le sait transcrites par E. le Roy. Nous avons opté pour l’édition qu’il en a faite qui n’a pas que l’intérêt de gagner du temps. Elle permet aussi une double entrée tant les commentaires de l’auteur de Jacquou le Croquant sont révélateurs sur l’auteur et la lecture qui pouvait être faite des événements par un républicain un siècle plus tard.

I - L’Organisation de la société populaire

1-l’organisation interne

C’est en pleine période de Terreur et alors que le comité révolutionnaire a été entièrement renouvelé que la société populaire semble sortir d’une relative routine pour devenir un véritable acteur révolutionnaire, fort d’un nombre d’adhérents constitué d’environ 80 membres comme l’indique la liste figurant sur le registre.

En fait, comme le rappelle Eugène le Roy dans sa transcription, il existait depuis 1790 une société fondée probablement par les hommes du 19 juillet que l’on appellerait bientôt « les patriotes de 1789 ». Elle comptait une trentaine de membres parmi lesquels dominaient le groupe des artisans (11 membres) et où les agriculteurs constituaient le 2°groupe où l’on distinguait cultivateurs (3) et simples travailleurs de terre. C’est dire que l’élément populaire y était majoritaire. Il est vrai qu’on notait rapidement l’entrée de quatre nouveaux hommes de loi et du maître de forge Festugière. Le groupe hommes de loi-professions médicales comptait seulement 7 membres et les marchands 3. La société s’était étoffé pour atteindre quatre-vingt membres le 4 janvier 1791 quand les membres s’adressèrent à Sarlat pour devenir une Société des Amis de la Constitution et s’affilier à celle de l’ancienne capitale de la sénéchaussée. Nous savons que, de son côté, Lacoste était membre de la société de Périgueux. Puis ce fut la mise en sommeil.

Le 4 frimaire An II (24 novembre 1793) alors que, nous l’avons vu, le comité révolutionnaire venait d’être renouvelé et que la Terreur était à l’ordre du jour, la Société des Amis de la Constitution devenue la Société des Amis de la liberté et de l’égalité selon une évolution classique. Selon le registre, elle « stagnait » alors, « bornée à la lecture des nouvelles ». Elle se constitua en société délibérante autour de 11 membres. Un des proches de Elie Lacoste et lui aussi médecin, Mournaud, en devenait le président, Mérilhou et Sorbier les secrétaires. Le programme de ces hommes était de se placer dans l’action révolutionnaire : « Le but de la Société est de propager l’esprit public, d’éclairer le peuple, de déjouer ses ennemis, de démasquer les complots d’affermir la liberté et les liens de fraternité » Et elle affichait sa devise « Vive la République, honneur à la Montagne. Périssent les traitre, les fédéralistes, les aristocrates et les fanatiques. »

Dès le 6 frimaire, la société se dotait d’un règlement qui instituait sa permanence, c’est-à-dire une réunion quotidienne. Deux articles à relever : l’article 8 stipulait que le président siégeait coiffé du bonnet rouge et la pique à la main. Les citoyens ont la même liberté quant au bonnet rouge. L’article 16 fixe le droit d’entrée à 3 livres et celui de la cotisation mensuelle à 30 sols. Des tarifs très bas et qui ressemblaient plus à une contribution volontaire des plus aisés que « les sans culottes indigents payent de leur patriotisme ». Les adhésions sont nombreuses. Les nouveaux membres doivent répondre aux deux questions du « questionnaire jacobin »« Qu’étais tu en 1789 ? Qu’as-tu fait pour la Révolution ». Nous ne savons pas à quel rythme fut acquis le chiffre de quatre-vingt membres. On note deux mentions de l’arrivée des nouveaux membres : 12 le 8 nivôse II (28 décembre) ; « un grand nombre de citoyens impatients de faire partie de la société «  le 21 nivôse (10 janvier). Probablement les membres de l’ancienne société furent-ils admis de fait, les questions rituelles revenant aux membres extérieurs. Il est considéré dans le cours des délibérations qu’aucune décision ne peut être prise à moins de trente présents ce qui était un chiffre non négligeable et que Périgueux n’atteignait pas toujours. L’absentéisme et la confusion étaient les deux maux qui affectaient les réunions. D’où les rappels à l’ordre, l’obligation de prendre rang pour parler et de le faire debout. Quant à l’absentéisme il est souvent dénoncé et atteint en prairial (juin 1794) son sommet puisque le 2 prairial (21 mai) « l’assemblée se trouvant déserte on lève la séance » et plusieurs membres proposent de limiter le nombre des séances à quatre par décades, concession à la permanence qui ne fut jamais retenue. Le ton monte d’ailleurs à mesure que l’assistance décroît : le 2 messidor (20 juin) il est proclamé de « purger les insouciants qui par leur négligence mettent parfois la société dans l’impossibilité de délibérer ».

Les séances s’ouvraient sur le chant d’un hymne patriotique. Il n’est pas précisé lequel. En revanche, certains étaient composés par des adhérents. Ainsi de la composition de Joubert (pas le philosophe qui avait évolué à l’opposé et était d’ailleurs reparti) ou celle de Chabannes, les strophes de la première étant reproduites. Un élan patriotique semble régner que rythment les annonces de victoire en cet hiver 1793-94 où la situation se retourne en faveur de la France sur tous les fronts. Probablement évitait-on les sujets qui fâchent, notamment la Vendée pour laquelle ne sont avancées que des victoires au point de proclamer le 4 pluviôse (23 janvier) que « les ennemis ont disparu du sol de la liberté ». Il est vrai qu’on était au lendemain de la fameuse proclamation du général Westerman « Il n’y a plus de Vendée. Je viens de l’enterrer dans les marais de Savenay ». Cet élan s’accompagna, notamment en frimaire et nivôse de dons pour les soldats.

Pour donner plus de continuité à son action, la société se dota de commissions. Certaines devaient avoir un caractère temporaire dont la fameuse commission des Douze pour l’épuration ou celle des six. D’autres étaient instituées. Ainsi le 14 prairial (8 juin) décide-t-on de ramener à trois le nombre des commissions et d’en décider la permanence. Elles concernent surveillance, correspondance et instruction publique. Mais la plupart de ces commissions semblent connaître le sort commun de l’inefficacité : les procès-verbaux multiples soulignent l’exaspération des membres devant leur absence de résultats.

Au cœur de la vie de la société se trouve le mécanisme de l’épuration. Mis à l’ordre du jour le 2 nivose (22 décembre) par Roux- Fazillac, elle est conduite par douze membres élus qui sont le noyau dur de la société, celui qui fournit les présidents. Reste que, pour que celle-ci fût assez radicale, certains demandèrent très vite que les douze épurateurs fussent à leur tour épurés (9 nivôse-29 décembre). On attendit la deuxième vague d’épuration, le 30 pluviose (18 janvier), motivée par le fait qu’il restait « des citoyens froids et égoïstes ». Une nouvelle commission des Douze fut élue. Préalablement épurée avec succès le 2 ventôse (20 février), elle put se mette au travail

Notons enfin l’échec d’une timide tentative pour introduire les femmes le 14 germinal (3 avril). Le refus, motivé par le manque d’empressement durable des intéressées à rejoindre la société. Décision qui plait beaucoup à Eugène le Roy qui voit dans l’opposant « un citoyen qui fit preuve d’esprit et la société de bon sens »

2 - Le cadre géopolitique

Nous l’avons vu, la société de Montignac se présentait comme une filiale de celle de Sarlat. Elle souhaitait aller plus loin et être affiliée aux Jacobins de Paris (26 nivôse 15 janvier)): elle demanda alors à Périgueux et Sarlat d’attester de son affiliation à leur société. Sarlat y répondit avec empressement, nonobstant le fait que le registre qui devait faire preuve fût perdu. Périgueux éluda : jamais elle n’avait reçu de demande d’affiliation des Montignacois.

Ces démarches ne doivent en rien donner le sentiment de mauvaises relations avec Périgueux où siégeait habituellement Roux-Fazillac. Celui-ci est surtout présent en brumaire et nivôse lorsqu’il est question du brûlement des titres féodaux et la destruction des châteaux-forts. Grand fut l’empressement pour décréter la destruction de celui de Montignac jusqu’à ce qu’un des membres rappelle qu’il contenait des prisonniers et surtout des vivres ! La capitale du département envoya, au cœur de la crise entre la société populaire et le comité révolutionnaire, Duroc, le chef de la garde nationale de Périgueux qui se félicita de l’entente à Montignac où n’existaient de divisions qu’entre patriotes et aristocrates (13 germinal-2 avril). et quand il s’agit de manifester sa solidarité sur le ravitaillement, Périgueux accepta d’enthousiasme provoquant une réponse tout aussi fraternelle : « En resserrant les liens de l’amitié qui nous unissent avec nos frères de Périgueux. S’ils doivent manquer de subsistances, il faut que nous en manquions nous-mêmes autant ». On mesure à cette déclaration la différence d’état d’esprit sur les réquisitions entre la population très réticente et accusée d’égoïsme et les membres des sociétés

Sur un plan plus local, il apparaît que les relations sont très resserrées avec le Bugue. C’est là d’ailleurs que les condamnés de Montignac étaient emprisonnés. La petite ville s’inquiéta des relations entre société populaire et comité de surveillance en prenant le parti de cette dernière. Tout autres furent les relations avec Thenon. Ce chef- lieu de canton avait pourtant été une des cités les plus en pointe sur le plan politique. Les suspicions de Montignac à propos de Lathoumétie que Thenon, dont il était un élu, défendit bec et ongles, furent au centre de ces relations difficiles.

Les petites communes étaient placées sous la protection du chef-lieu de district. Ainsi le 28 pluviôse (8 février) note-t-on des attroupements dans l’une d’entre elles et « les malveillants atterrés grâce à l’intervention de la Garde nationale de Montignac ». Sans doute étaient-ils visés dans la déclaration de la veille à la société où l’on condamne ceux qui voudraient allumer dans le district une Petite Vendée ce qui semble dénoncer le caractère fanatique »de ces mouvements. Notons enfin la volonté exprimée par un grand nombre de petites communes du district de se doter d’une société affiliée à celle de Montignac. Elles répondaient en fait à l’appel lancé par celle-ci le 26 pluviôse (6 février) qui envoya le texte de son règlement aux communes (du district ou du canton ?). Ce fut tour à tour le cas de Lacassagne (26 ventôse-16 mars), de Limeyrat, de Journiac (27 ventôse), Auriac (5 germinal-25 mars) et surtout de Condat (6 germinal). Celle-ci, saluée pour ses mérites depuis les débuts de la Révolution, on demanda que son adhésion fût votée par acclamation. Mais par souci d’égalité on l’assigna à la même procédure que celle organisée pour les autres communes, celle d’un examen par la commission des Douze.

3 - Les relations avec les représentants en mission

Les relations avec les trois représentants en mission Elie Lacoste, Roux-Fazillac et Lakanal sont permanentes mais de nature différente.

Elie Lacoste avait suscité la création du comité révolutionnaire. Il finit par s’inquiéter des zizanies et faire savoir ses regrets à la société. Celle-ci encaissa mais réagit estimant qu’il avait été trompé ajoutant que « la division n’empêche pas les mesures révolutionnaires d’être exécutées ». Pour la période qui nous concerne, c’est plus en député à la Convention que Lacoste agit. Il apparaît surtout comme celui qui porte les bonnes nouvelles comme c’est à plusieurs reprises le cas pour les livraisons de céréales. Ainsi promet-il, le 9 ventôse (27 février), 10 000 quintaux à prendre sur le district de Périgueux. On a d’ailleurs vu comment ces réquisitions créaient des situations très confuses

Les interventions de Roux-Fazillac se situent davantage sur un plan politique. C’est lui qui envoie un délégué, Renaud, pour l’épuration, le 2 nivôse (22 décembre). Au même moment il convoque à Périgueux un délégué de chaque société populaire. La société se plaint d’ailleurs le 11 nivôse (31 décembre) d’avoir été calomniée auprès de lui.

Mais les relations les plus importantes restent celles entretenues avec Lakanal. Ainsi de la décision de celui-ci d’éteindre les procès que l’on suit avec empressement se promettant, le 29 pluviôse (17 février) d’exclure les membres qui refuseraient de s’y soumettre. Le même enthousiasme se manifeste autour de l’arrêté pour la restauration des routes reçu le 9 pluviôse (28 janvier) par l’intermédiaire de l’envoyé de Lakanal, Dupuy, suivi de la fête de l’Egalité. Reste qu’un vaste débat s’organisa sur le choix des routes à restaurer et, dans cette affaire, pas question de céder aux décisions des ponts et chaussées : la voix populaire qui marque ses préférence pour les réseaux locaux quand Lakanal pour des raisons militaires s’intéressait surtout aux grandes routes) ne saurait être contestée. Autre question : la mobilisation doit durer trois jours : pourquoi ne pas prolonger par le quatrième qui est un ci-devant dimanche, (ce qui est une façon inopinée de rappeler qu’il serait encore jours de repos !) ? Mais c’est l’inverse qui se produit : on a quitté les chantiers avant l’heure attendue, suite à l’erreur d’un tambour. On distribue aux indigents pain, vin et argent pour les dédommager du temps passé sur le chantier. La confiance en Lakanal est totale « Lakanal proclame-t-on le 29 pluviôse (17 février) attend vos réclamations. Il vous accordera plus que vous ne lui demandez »

De ce point de vue Montignac témoigne du rayonnement des représentants en mission à qui l’on attribue un rôle démiurgique pour reprendre l’expression de Michel Biard (cité ci-dessus).

II - Au centre de l’action révolutionnaire : la déchristianisation et la célébration du décadi

1 - Une préoccupation fondamentale la lutte contre le fanatisme

On n’en finirait plus de citer les déclarations et les mesures contre l’Eglise. On peut cependant l’observer d’un triple point de vue.

  1. L’attitude vis-à-vis des prêtres. Le mouvement d’abdication des prêtres se développe fin 1793 au département. Pourtant, la société reçoit encore la visite de prêtres qui viennent abjurer le fanatisme. Une cérémonie de brûlement des lettres de prêtrise est alors organisée. Dès le 12 nivôse (1°janvier) alors que le flux s’est beaucoup ralenti, la société fait pourtant monter les enchères et décrète qu’elle ne recevra désormais et n’accordera la brûlure (sic) « qu’aux lettres de prêtrise de ceux qui déclarent vouloir épouser une citoyenne et donner des enfants à la patrie ». La méfiance demeure d’ailleurs de règle contre les anciens prêtres. Les habits sacerdotaux sont l’objet d’une destruction systématique. On sait l’ennui que connut l’abbé Noël, ex-curé et maire de Montignac pour avoir conservé les siens (J MARQUAY, Montignac sur Vézère, Pages de son histoire et de sa vie religieuse, Montignac, 1937 p 185).
  1. La menace des prêtres encore en exercice et le risque de « Petite Vendée ». A intervalle régulier est rappelée la menace que représentent les prêtres. Ainsi lorsque se produisent des troubles à Lacassagne une motion se traduit par l’adresse aux sociétés affiliées pour les exhorter « à expulser de leurs anciens repaires ces prêtres pervers » (3 ventôse-23 février))
  2. La lutte contre les fêtes religieuses, notamment celle de la saint Jean à Auriac pour la surveillance de laquelle Montignac a envoyé des délégués. On propose d’employer à la production de salpêtre les Montignacois dont on a constaté la présence. La lutte contre les dimanches et fêtes est présentée comme une manière de combattre l’oisiveté. Le 29 prairial (17 juin) encore on se plaint de « rassemblements considérables se font encore ces jours- là, formés de fanatiques et des paresseux »… « Leur maintien pourrait assassiner la philosophie dans sa marche ». Deux décisions sont alors prises : interdire la vente de vin ces jours-là et poursuivre comme fanatiques tous ceux qui se sont rendus deux fois. Le 4 messidor (22 juin) sont dénoncés « les bigots et les bigotes » qu’il faut empêcher de se rassembler pour le fête de la saint Jean à Auriac. Un des membres propose d’ailleurs que l’on envoie ce jour-là dans la commune des brouettes et des pelles pour les faire travailler
  3. Le 11 messidor (18juin) il est question du fanatisme toujours terrassé et toujours renaissant.
  4. Il faut enfin souligner que la disparition du culte catholique la «défanatisation » est un critère de réussite de l’action révolutionnaire. Deux faits le prouvent

- lorsque la Société de Périgueux exhorte à la lutte contre les prêtres, celle de Montignac note qu’elle n’est plus concernée et reçoit presque cette exhortation comme une insulte.

- c’est, nous le verrons à ce propos, que l’affrontement avec le comité révolutionnaire devient la plus virulente.

Reste que la déchristianisation butte sur des questions pratiques. Ainsi celle des cloches. D’un côté on condamne les villages qui continuent à sonner l’angélus. De l’autre on décide le 15 ventôse (5 mars) de « sonner le matin, à midi et au déclin du jour pour la commodité des ouvriers ». En somme aux heures du ci-devant angélus !

Enfin tout ceci n’empêche pas, le 8 prairial, de remercier la Providence à l’issue de la présentation des grains d’orges à Romme.

2 - La célébration du décadi

Opposée à celle du dimanche, la célébration du décadi est peu à peu organisée pour s’y substituer. D’abord en interdisant le travail de jour-là à l’exception des séances de la Société populaire. Encore que la motion proposée le 29 ventôse (19 mars) « Doit-on punir ceux qui travaillent le décadi et chôment le dimanche ? » on ne répond par l’affirmative qu’à la première proposition. La mise en place d’une instruction pour le décadi se fait progressivement. Il s’agit d’abord de célébrer par des chants révolutionnaires. Puis par lecture et l’explication d’articles de la Déclaration des Droits de l’Homme « à 7 heures » est-il précisé le 29 frimaire (17 décembre). Le lendemain on précise que l’on se rendra ce jour-là autour de l’arbre de la liberté chanter des chants patriotiques. Enfin la société désigne pour chaque décadi deux « missionnaires » qui prononceront un discours patriotique. La règle s’impose aussi d’effectuer ce jour- là de la distribution de « bon pain aux indigents, ceci sous la surveillance des officiers de santé ».

A ceci s’ajoute la célébration des autres fêtes :

- la plantation de l’arbre de la liberté, projetée le 15 pluviôse (3 février), où l’on décide qu’elle sera solennisée par la célébration d’un mariage. Une semaine plus tard se pose la question du choix de l’arbre : l’ormeau mieux adapté ou le chêne et son symbole ? On opte « à tort pour le second qui ne pourra prendre racine et, précise E le Roy, crèvera très vite ». Il est solennisé par la célébration d’un mariage et l’attribution au jeune couple d’une dotation de 717 livres. Las, on apprendra dans les jours suivants, qu’après la cérémonie patriotique, les intéressés sont allés faire bénir leur union par un prêtre !

3 - Les réserves à propos du culte de l’Etre Suprême.

La déchristianisation en marche, fallait il lui substituer une autre religion ? A cette question les membres de la société semblent assez rétifs. Le 6 ventôse (24 février), la lecture d’un discours de Robespierre sur les principes de la morale en politique est renvoyée. Ainsi le 4 prairial (23 mai) constate-t-on que la salle se vide à la lecture du discours de Robespierre « sur les rapports des idées religieuses et morales avec les principes républicains » . Le lecteur n’est pas encore parvenu au milieu de son texte que la salle est déserte et qu’il faut lever la séance. Pas plus de succès le lendemain où l’on demande l’ajournement de la même lecture.

La fête n’en aura pas moins lieu avec son rite très particulier, le 20 prairial où elle débute à 1h du matin. Au cours de la fête 3000 livres ont été perçues au bénéfice des indigents.

4 - Une culture nouvelle ?

Le 22 pluviôse (9 février), il est question de haranguer quatre jeunes gens engagés dans la marine. Mais en quelle langue le faire ? En idiome du pays est-il d’abord proposé. Riposte immédiate d’autres membres qui demandent que ce soit fait « en notre langue » « que ce serait un moyen de détruire ces idiomes qui ont tant nui à la chose publique ». Mais las ! il faut bien admettre qu’ils risquent de n’y comprendre goutte et on décide de recourir « à faire la harangue en patois ».

On notera les nombreuses mentions sur l’Instruction publique. Le 9 floréal (28 avril), c’est la question du salaire insuffisant des instituteurs, débat qui rebondit le 15. Le 10 prairial (29 mai) parvient l’ordre de Lakanal d’établir un comité d’instruction sociale chargé de la rédaction d’un journal populaire et l’établissement d’un apostolat civique « chargé de greffer la Liberté dans l’âme des fanatiques »

Sans surprise, les héros de la société, ceux dont on réclame de rapporter le buste à un membre se rendant à Paris sont Marat, Le Peletier, Brutus et Jean-Jacques en réclamant qu’à la différence de deux portraits des premiers déjà accrochés dans la salle, ceux-là soient ressemblants. L’accent rousseauiste est perceptible aussi bien dans la fête de la Fraternité dans le proche village de Saint-Léon « où toutes les âmes s’épanchèrent et se confondirent dans un doux sentiment d’amitié » que le 1 prairial (19 mai) où l’on évoque « les lois philanthropiques qui ramènent l’homme au bonheur de la nature ». Mais on est aussi en prairial et on y a ajoute le vœu de « délivrer le territoire de la commune de ces hommes scélérats »

III - Economie et bienfaisance révolutionnaire

  1. Les questions économiques

La société se préoccupe aussi d’économie politique. Il s’agit bien de développer la prospérité dans le cadre révolutionnaire en s’attaquant à tous les abus.

Modeste mais objet de passionnants débats est la question du blé (probablement du seigle) en herbe. La coutume voulait que l’on nourrît le bétail au printemps sur les emblavures. La société commence par condamner cet abus avant de constater qu’il s’agit d’une manière efficace d’éclaircir la pousse et de favoriser ainsi la croissance des épis. Ceux-ci font d’ailleurs l’objet d’une surveillance particulière tant est grande la menace des affameurs. On offre la récolte faite des épis à Romme.

Plus importante est la question du ravitaillement. L’application des règles du maximum est peu évoquée en tant que telle. Mais la permanente évocation des affameurs est bien là. A l’opposé doit s’imposer la règle simple et fraternelle selon laquelle « les subsistances doivent être communes chez les peuples libres » et donc partagées !

La taxation reste un souci dans la mesure où elle se traduit par la désertion des marchés. Ainsi pour la viande où l’on constate les détournements locaux (Sarlat) ou départementaux : ainsi la présence des marchands limousins sur le marché d’Excideuil. Le 4 ventôse se constitue une commission pour acheter de la viande sur les marchés à prix coutant.

La question de la Vézère : Lakanal s’est intéressé à la navigabilité des cours d’eau comme le montre sa fameuse intervention en faveur de la navigabilité du Dropt. Aussi les Montignacois tentent-ils de toutes les manières de l’intéresser à celle de la Vézère. De multiples démarches sont tentées, notamment l’envoi d’émissaires à Bergerac sans beaucoup de succès.

2 - la bienfaisance

Les actes de générosité tiennent une place essentielle dans la vie de la société. Ainsi en nivôse un élan se manifeste pour aider à la formation de la Légion de la montagne. Le principe est arrêté de verser pas moins de 100 écus et l’équipement aux volontaires (7 nivôse-27 décembre). Dès la séance se multiplient des dons de 10 à 25 livres. 32 membres y participent pour une contribution qui atteint au total 240 livres. Cette générosité se traduit de diverses manières : couvertures pour les pauvres pendant l’hiver, versement de subsistances, de souliers pour les soldats, de divers textiles pour produire les pansements pour les blessés

Cette bienfaisance peut buter d’ailleurs sur des contradictions. Ainsi a-t-on décidé pour garantir les subsistances à tous d’éliminer ces bouches inutiles que sont les chiens. Ordre est donné de les tuer sauf lorsqu’ils ont une utilité économique. D’où la réaction d’un des membres, au nom de la bienfaisance « Le chien est l’ami fidèle, le compagnon de l’homme…Combien d’êtres malheureux se trouveraient délaissés et, sans lui, seuls sur cette terre »

III - Personnalités ou idéologie ? Les conflits politiques

1 - les conflits internes

Ils apparaissent d’abord nous l’avons vu au moment de l’épuration qui, pour être effective, ne devrait épargner personne, pas même les douze épurateurs élus. En fait un conflit interne est révélé le 14 nivôse (3 janvier) où il est question d’un « complot contre les hommes de 89 ». On prête à l’un des membres du comité révolutionnaire, Laroche, le propos selon lequel « ils auraient régné en despotes et il est temps que leur règne finisse ». Le 24 nivôse (13 janvier) l’ancienne commission d’admission est sommée de s’expliquer sur le fait que 30 citoyens ont été écartés. Le surlendemain, 26 nivôse il est proposé de mettre à jour les intrigues des « faux patriotes et intrigants qui affectent une exaltation de principe pour occuper des places dans le gouvernement révolutionnaire »

2 - L’imbroglio des affrontements entre la société populaire et le comité révolutionnaire

L’exemple de Périgueux montre que ce sont les membres de la société populaire qui constituaient le comité révolutionnaire. D’où l’unité d’action potentielle. Montignac montre que ce ne fut pas toujours le cas du fait des rivalités personnelles

D’abord feutré, le débat prend une réelle ampleur à partir de pluviôse (janvier). On lit à la société une lettre de Lacoste (simple homonyme du député) qui dénonce les manœuvres de plusieurs membres du comité révolutionnaire. C’est au point que l’on programme une discussion pour savoir si ses membres ont perdu la confiance de la société. Le 3 pluviôse (22 janvier) c’est le cas de Lalande qui est examiné. Celui-ci avait été nommé vice-président du comité révolutionnaire à l’issue de son mandat de procureur syndic de département, fonction dans laquelle il avait remplacé Pipaud des Granges. Or, on l’accuse justement de s’être ligué avec lui, accusation lourde de sens alors que son prédécesseur attendait à Paris son jugement pour fédéralisme. Lalande est accusé de se conduire en despote au comité. Il affiche en permanence un complexe de supériorité et cette accusation qui vise sa mégalomanie  « Il s’est affublé tantôt du bonnet rouge et tantôt du chapeau rond avec quatre cocardes tricolores en criant « la Terreur est à l’ordre du jour ». Bilan : à l’unanimité la Société déclare qu’il a perdu sa confiance (3 pluviôse-22 janvier).

La seconde cible est Lathoumétie de Thenon. Il agirait dans le comité révolutionnaire en fonction de ses passions. Il ferait par ailleurs la cour à Roux-Fazillac. Lui aussi est déclaré ne plus avoir la confiance de la société (4 pluviôse-23 janvier)). En revanche, le lendemain, Lacoste mis à son tour en accusation parvient à retourner la situation. C’est ensuite Cramier qui perd la confiance pour être à l’origine d’un rapport à la Convention de Julien de Toulouse critiquant la ville de Montignac. Mais le lendemain un membre s’inquiète de voir la société aller trop loin en mettant en cause un homme qui s’est proclamé « bon républicain ». L’arrêt de la veille à son encontre est rapporté. Quatrième membre examiné, Laroche, qui était présumé être l’auteur de mots sur les patriotes de 89. Au cours du repas où il avait prononcé cette sentence, il avait aussi dénoncé plusieurs membres de la municipalité qui allaient à la messe interdisant ainsi tout espoir de voir cesser le fanatisme. Mais se produit alors une scène bien dans le goût de l’époque : Dujarric soutient Laroche et Mérilhou se précipite pour l’embrasser. Du coup Laroche obtient la confiance à l’unanimité de même le lendemain, sans grand débat pour Cleyrac. Le surlendemain vient le tour de l’ancien curé de Thenon Chabannes. L’accusation est un peu faible mais révélatrice puisqu’on l’accuse de « s’être acharné contre les prêtres constitutionnels » dont il est lui-même. L’affaire est vite réglée avec un tel motif : il reçoit la confiance à l’unanimité et le baiser du président. Enfin les derniers membres examinés : Lafon, Cogniet, La falaquière et Lafargue obtiennent à l’unanimité la confiance. D’ailleurs le lendemain, deux membres du comité, Lamothe et Cramier sont admis comme membres. Le 12 pluviôse (31 janvier), le rapport d’épuration est envoyé à Lakanal.

Tous les membres du comité sortent indemnes de cette première attaque sauf Lalande et Lathoumétie à nouveau mis en cause le même jour.Le 17 c’est au tour de Lalande et l’on décide d’envoyer le procès-verbal des discussions sur leur compte aux autres sociétés.

La 2° phase de l’affrontement s’engage un mois plus tard, le 17 ventôse (7 mars). Les motifs tiennent à ce que Roux-Fazillac n’a pas disculpé Lathoumétie et que le comité révolutionnaire refuse de donner les motifs de la destitution de fonctionnaires. Surtout l’objet central de l’affrontement tient à une lettre du comité révolutionnaire à la Convention « qui paraît inculper tout le district à propos du fanatisme ». On débat sur cette « adresses infamante » et la société demande qu’il soit déclaré que le comité a perdu sa confiance et l’on demande l’envoi d’une adresse énergique à la Convention pour justifier que « le district n’a jamais cessé d’être à hauteur de la Montagne. Quant au Comité, sa conduite est comparable à celle de Vergniaud ». C’était une accusation gravissime ! D’ailleurs tout résulte de sa formation viciée à l’origine et l’on demande qu’une commission « soit chargée d’épier les démarches tortueuses du comité qui a perdu la confiance de la société ». Deux membres, Lacoste et Cognet sont acceptés à la société mais perdent tout droit de vote. La situation paraît ne pas faire l’unanimité et le 23 ventôse (13 mars) , six jours après l’ouverture des hostilités, des membres se plaignent que l’on passe trop de temps à examiner les actes du comité. A quoi il est répondu qu’il s’agit de distinguer les innocents des coupables. Parallèlement les relations avec Thenon restent tendues. Le 25, Lakanal annonce qu’il viendra juger de façon impartiale en même temps qu’il promet 4000 livres. Le débat se poursuit cependant sur les choix du comité quant au traitement des fonctionnaires d’autant qu’à propos du juge Duclaud-Boredon il s’est lui-même déjugé. Le comportement du comité sera scruté par une commission des Quatre. La tension monte encore d’un cran quand la société refuse d’envoyer au comité les lettres que ses membres lui ont écrites. Démarche « dictatoriale «  d’une institution qui se montre comme un monument d’orgueil et de grossièreté (6 germinal-26 mars)). Le 9 germinal ( 29 mars) est constituée une commission des Six pour juger le comité. Le 12 intervient une lettre de Lacoste blâmant le Comité. Nous avons déjà vu comment elle fut reçue. Le 20, c’est à nouveau le comité qui attaque la société la dénonçant comme un obstacle aux progrès de la raison. Laroche membre des deux institutions antagoniste tente de défendre le comité.On déclare qu’il a perdu la confiance. C’est ensuite à Chabannes, dans la même situation qui se voit attaqué sur une question de mœurs et se voit retirer la confiance. On lui reproche aussi de n’avoir pas dit des messes qu’on lui avait payées !! On devine quelle défense il peut opposer ! Et puis le 28 une sorte de trêve s’établit : on félicite le comité de sa motion sur le partage des subsistances. Il n’est plus désormais question de l’affrontement et on accueille avec ferveur, le 18 floréal, une ode à la liberté qui lui vaut une reconnaissance écrite. Et si l’adresse à la Convention sur le comité ne semble pas avoir été rédigée, on en propose une autre beaucoup plus révolutionnaire pour confisquer au profit de la nation les revenus des ci-devant privilégiés célibataires au- dessus de 2000 livres.

Peu à peu l’apaisement se dessine. On commence à évoquer la réconciliation le 17 messidor (15 juillet) où l’on vient de donner « l’absolution «  à Chabannes. Est-ce l’effet de la date anniversaire de la veille ? Le surlendemain a lieu la grande cérémonie lyrique de l’érection d’une « pyramide triangulaire » pour célébrer les victoires de l’armée et le 21 messidor (25 juillet) sont célébrées les grandes fêtes révolutionnaires et on décide de la fête du 14 juillet (25 messidor). D’ailleurs le 28 messidor revient la question. Peut-on condamner « ceux qui depuis le commencement de la Révolution n’ont cessé de manifester les principes de vrais républicains » et les confondre avec les ennemis de la patrie ? Chabanne est élu au bureau et invité à prêcher le décadi. Pourtant le même jour à propos de la fête à Saint Léon la question à nouveau posée est à nouveau éludée La situation devait changer plus radicalement le lendemain, 29 messidor, avec un événement nouveau : l’annonce de l’affrontement entre société populaire et comité révolutionnaire de Sarlat. Certains membres proposent de se rendre auprès des frères sarladais pour essayer de les rapprocher. Mais est-on crédible quand, au même moment, la situation identique et bien plus ancienne existe à Montignac ? On décide donc d’abord de se réconcilier puis d’envoyer une délégation à Sarlat. En signe de cette réconciliation, le 2 thermidor (20juillet), Laroche et Lalande retrouvent la confiance et le second, bête noire de la société est admis dans ses rangs. Autre bonne nouvelle l’annonce de ce que l’ex-archiprêtre Noël est reconnu innocent. Quant à l’envoi de la commission à Sarlat, il n’est plus question : l’affaire serait réglée à Paris ! La fête est complète lorsque le 8 thermidor (26 juillet) on reçoit une lettre de Lacoste se réjouissant de la situation.

Le lecteur éprouvera peut-être un sentiment de confusion dans ces événements qui jalonnent les affrontements. Qu’il se rassure : l’historien aussi. Mais ils montrent le degré de fièvre qu’atteignent les affrontements entre révolutionnaires. Cette affaire eut d’ailleurs des échos à Périgueux qui intervint vainement.

Epilogue

C’est le 16 thermidor que l’assemblée apprend la chute de Robespierre et dénonce le complot qu’il avait tramé. Le 17 est prononcé un serment anti robespierriste. En revanche le rappel de Lakanal le 22 suscite les regrets et la colère contre ses calomniateurs.

Là s’arrête le registre de la société qui survit jusqu’au 14 frimaire An III.

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TEXTES

Séance du 25 Messidor : adresse au représentant Lakanal

« Citoyen représentant,

Transporter des bastilles pour élever dans un clin d’œil des monuments tyrannicides ; mouvoir subitement une population de quatre cent mille hommes pour réparer en trois jours toutes les dégradations que le temps destructeur avait opéré dans les routes ; tout cela n’était que le prélude de tes travaux révolutionnaires ; ton génie devait en concevoir et ton activité en faire exécuter de plus grands. Tu as voulu que les rochers énormes de la Gratusse fussent brisés, ils le seront ; tu as voulu que la vaste Dordogne fut subjuguée par un pont, elle le sera ; que l’Isle fut rendue navigable, et bientôt l’objet de tes vœux sera rempli.

Mais pourquoi citoyen représentant, l’utile Vézère n’a-t-elle pas fixé tes regards ? As-tu ignoré que sans elle cinq départements auraient naguère subi toutes les horreurs de la famine ? Que par elle le fer, le charbon de terre et les bois de construction doivent être transmis dans nos ports, dans nos ateliers et les approvisionnements de tout genre dans nos armées méridionales ?

Rien n’est plus facile que de rendre en peu de temps navigable cette Vézère si importante : avec son beau bassin et le volume si considérable d’eau qu’elle offre, elle soutiendra la navigation toute l’année avec avantage.

C’est à toi, digne représentant, qu’est réservée la douce satisfaction de rendre la Vézère navigable. Ce grand bienfait te méritera la reconnaissance des citoyens de cinq départements. Eh bien, parle, ordonne et aussitôt le peuple en masse secondera ton projet salutaire.

20 PRAIRIAL : LA FËTE DE L’ETRE SUPREME A MONTIGNAC

« A une heure du matin, on bat la générale dans toutes les rues pour avertir le peuple qu’il est temps de s’échapper aux douceurs du sommeil, pour se dispose à goûter une plus douce satisfaction, celle qu’éprouve un Cœur pur en adorant le Créateur dès le point du jour.

Tous les citoyens des deux sexes se réunissent dans la place d’Armes pour se porter en masse vers l’autel élevé à l’Etre suprême. La pieuse troupe est précédée dans sa marche par des musiciens qui font répéter à leurs instruments les cantiques adressés à la Patrie et à la Liberté. Arrivé sur la montagne, on y voit un autel élevé par des républicains, au milieu duquel la Liberté avait planté son arbre. C’est à ses pieds que les cantiques de joie sont alternativement répétés par la voix des citoyens et parle son des instruments de musique

Les premiers rayons du soleil redorent enfin la cime des coteaux ; l’astre du jour est salué par un coup de canon. Deux orateurs montent successivement sur l’autel. Le premier annonce au peuple un Dieu, créateur généreux et qui doit dans le temps récompenser la vertu ; l’autre apprend à ses concitoyens en quoi consiste le culte que demande notre Etre suprême. Ces discours sont encore suivis de nouveaux cantiques et la troupe se retire.

De retour chez soi, chacun s’occupe de joncher de verdure le devant de sa maison. Dans l’instant toutes les rues sont bordées de branchages et parsemées d’herbes et de fleur. A huit heures on convoque une assemblée de ceux des citoyens qui n’ont pas de propriété ; on leur donne lecture de la sage et bienfaisante loi qui leur accorde une portion des terres prises sur les émigrés.

A dix heures la cloche sonne et chacun se rend au Temple de la Raison.Le dedans en était peint en blanc. Des branches d’arbres touffues en relevaient l’éclat. En haut on voyait l’autel, surmonté d’une longue pyramide et portant la Raison. A ses côtés étaient les bustes des martyrs de la liberté. Le devant portait deux écriteaux ; l’un contenait ces paroles : ADORE UN DIEU, AIME TES FRERES, CHERIS TA PATRIE ; l’autre offrait celle-ci : LA PATRIE INSTRUIT SES ENFANTS, LA RAISON LES ECLAIRE. Plus bas étaient deux bannières ; l’une enrichie de la figure de la Liberté. Cette déesse portait d’une main son bonnet, de l’autre le faisceau. L’autre offrait l’égalité ; à sa main droite pend le triangle, a sa gauche est la massue ; à ses pieds elle foule les attributs de la tyrannie royale et féodale. Le milieu du Temple était flanqué de deux tribunes qui majestueusement ordonnées des mains de la nature, tendaient les bras aux orateurs. Sur l’une domine la statuer de Brutus avec cette inscription : A LA MORT QU’ON MENE MON FILS. Sur l’autre on lisait : LES DROITS de L’HOMME ET DU CITOYEN écrits en gros caractères. Les deux tribunes sont occupées : deux citoyens dans un discours interlocutoire font l’éloge de l’Etre suprême en prônant la Raison, la Liberté, l’Egalité et la Patrie. Ils instruisent le peuple sur les vertus à pratiquer, sur les devoirs à remplir. Cette instruction vraiment intéressante est prolongée jusqu’à midi.

Les orateurs déjà descendaient des tribunes : comme si l’Eternité eut voulu récompenser la piété des républicains, on annonce une dépêche du représentant du peuple Romme. Sa missive annonce que le roi de Sardaigne, pris par les Français, est conduit à Paris par 145000 hommes ennemis de la tyrannie .Les citoyens de Montignac, à cette nouvelle, éprouvent une joie indicible qui se manifeste par des applaudissements prolongés et par les cris de Vive la République ! Vive la Montagne !Périssent les tyrans ! Depuis midi jusqu’à trois heures tous les citoyens armés de piques, rangés sur deux colonnes, parcourent toute la ville dans cet ordre et se rendent sur la place d’Armes où ils font les évolutions militaires. Ils conduisent Stanislas : pour représenter le roi ils ont choisi un citoyen qui, dans l’âge viril a tout au plus trois pieds six pouces de taille (1 mètre !) ; sur sa tête est une couronne, ses bras sont liés d’une chaîne dont l’extrémité est tenue par un conducteur. Derrière lui sont deux enfants portant la figure d’une marmotte ; ils sont suivis d’instruments de musique qui exécutent l’air du Savoyard.

A trois heures, le président de la Société populaire convoque l’Assemblée : les citoyens entrant dans le lieu des séances déposent à la porte leurs armes ; celui qui représente le roi sarde est placé sur une éminence et exposé à la vue du peuple. Un orateur donne lecture des papiers, nouvelles et d’un arrêté du représentant du peuple Lakanal. Cette séance se termine par une levée d’argent. Trois mille livres sont mises entre les mains du trésorier, par les fonctionnaires publics salariés et les personnes aisées de la commune de Montignac : cette somme est destinée au soulagement des malades indigents. Plusieurs feux de joie ont été faits dans les différents quartiers de la ville. Ainsi finit cette fête :l’on peut dire à la louange des citoyens de Montignac que jamais il n’en fut célébré une qui n’offrit tant de splendeur, de majesté, de joie, de concorde, d’avantages que celle dont nous avons été témoins hier.

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