Olivier de Serres

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Texte de l'intervention de Maurice Cestac pendant la sortie de la SHAP en Ardèche (septembre 2022)


Un enfant du Vivarais, Olivier de Serres (1539-1619)

Olivier de Serres (médaille)

Olivier de Serres est considéré comme le père de l’agronomie française. Il est né en 1539 à Villeneuve-de-Berg, à quelques encablures d’Aubenas. Il est issu d’une famille protestante qui a fait fortune dans le commerce des draps. Son frère Jean fut pasteur de l’église réformée de Nîmes puis historiographe d’Henri IV, un autre frère, Olivier, sera diacre de l’église réformée de Villeneuve-de-Berg. Olivier, fils aîné de la famille, bénéficie d’une vaste culture humaniste. Il apprend le grec et le latin, lit les auteurs anciens, Caton, Columelle, Pline, Virgile et s’initie à de nombreux domaines de connaissances (médecine, architecture, hydraulique, botanique). À l’instar de ses contemporains, Montaigne et Brantôme, il complète sa formation par de nombreux voyages en France, Italie, Suisse, Allemagne.

L’agronome

Son ouvrage majeur, Théâtre de l’agriculture et mesnage1 des champs, publié en 1600 et qui fera l’objet de nombreuses rééditions, est le résultat de ses connaissances et de ses expérimentations conduites sur le domaine du Pradel acquis en 1558 et où il s’installe définitivement en 1578.

Cet ouvrage de 1000 pages est composé de 8 longs chapitres : Du devoir du mesnager – Du labourage des terres – De la culture de la vigne – Du bétail à quatre pattes – De la conduite du poulailler – Du jardinage – De l’eau et du bois – De l’usage des aliments.

Il y développe comment organiser la production agricole pour assurer la subsistance des personnes et leur revenu. Il se base sur ses lectures et les résultats de ses propres expériences conduites tout au long de sa vie sur le domaine du Pradel. Il conçoit un système global et cohérent basé sur l’association des cultures vivrières, des légumineuses, des surfaces fourragères pour les animaux et des productions de ventes comme la soie. Il expérimente des cultures nouvelles tels le coton, la canne à sucre, le safran, le tabac, la pomme de terre… Il est l’un des précurseurs en matière d’irrigation et met en place un système ingénieux d’hydraulique dont la Mère des fontaines, source artificielle qui recueille et redistribue les eaux sur le domaine est l’élément essentiel. Conformément aux goûts de son époque, il cultive également l’art des jardins. Il préconise ainsi des plans d’aménagement comme les broderies de buis. Il divise le jardin en quatre parties : le potager, le jardin bouquetier, le jardin médicinal et le verger. Il ajoute que le choix des cultures doit être adapté au terroir et à la variété des sols et des milieux. Ainsi les notions d’assolement et de rotation apparaissent sans les nommer. Il fournit également des indications très détaillées sur la conduite de la vie à la ferme. Savoir, expérience, diligence, trois mots qui indiquent les préceptes fondamentaux que doit suivre le bon père de famille. Avoir assez de savoir et de pratique, travailler avec assiduité et application tout en respectant les lois de la nature et de l’humanité.

On peut considérer que le Théâtre de l’agriculture et mesnage des champs est un message pour une agriculture familiale et raisonnée qui sans conteste trouve une résonance forte aujourd’hui.

Son rôle dans le développement de la soie

Olivier de Serres fait paraître en 1599 La cueillette de la soye par la nourriture des vers qui la font. Ce texte deviendra célèbre et sera traduit en allemand (1603) et en anglais (1607). À l’époque, un conseiller économique auprès du roi avait calculé que l’importation des étoffes de soie coûtaient annuellement 6 millions d’écus à la France. Olivier de Serres apporte alors le moyen de fabriquer ces tissus en France. Il va développer à grande échelle la production de soie dans le royaume en encourageant les plantations de mûriers. 20 000 pieds sont plantés aux Tuileries, quatre millions de pieds sont cultivés en Provence et Languedoc et une ordonnance royale impose à chaque paroisse de posséder une pépinière de mûriers et une magnanerie. L’introduction du mûrier en Dordogne ne se fera que bien plus tard, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle sous l’impulsion de Bertin intendant des finances de Louis XV.

Ses apports en viticulture et travail du vin

Olivier de Serres a bien contribué à la notoriété de la viticulture française. il jette les fondements d’une viticulture et d’une œnologie en relation étroite avec les terroirs. Il ouvre ainsi la voie au rationalisme scientifique. Pour la conduite du vignoble, il préconise ce que nous appellerions aujourd’hui la réalisation de tranchées pédologiques, il s’intéresse à l’exposition de la parcelle, à la topographie en relation avec le climat. Il évalue aussi le potentiel économique du vignoble en relation avec la proximité des consommateurs et l’aptitude du vin au transport. Voici ce qu’il écrit : « l’air, la terre et le complant font le fondement du vignoble… de l’assemblage provient l’abondance de bon vin, de longue garde, non sujet à se corrompre et chariable pour la débite, sans laquelle concordance, le vin cloche en quelque qualité. » Pour diminuer le risque climatique il préconise la plantation de plusieurs cépages sur la même parcelle sous forme de carrés homogènes au plan variétal qui pourront être vendangés et vinifiés séparément en fonction du degré de maturité atteint. Il préconise également la conduite en ligne ou en carré qui autorise ainsi la conduite animale.

En matière d’œnologie, il insiste sur l’hygiène et la qualité du logement du vin. Il détaille également l’usage du soufre. Il donne aussi des indications sur la durée de la cuvaison des vins. Fidèle à ses idées naturalistes, il conseille de respecter au mieux le naturel des raisins « mais d’autant que l’artifice n’altère aucunement le naturel, fait que les vins sont toujours prisés le plus, que moins on les aura drogués ». Attentif à la clarification du vin, il rejette la pratique du plâtrage du vin qui consiste en une acidification artificielle par ajout de sulfate de calcium (gypse), dangereuse pour la santé... Par contre il autorise l’utilisation des retaillures de bois de hêtre vert pour la clarification des vins. L’apport de noix est jugé efficace pour les vins de garde. Cette approche de la viticulture est résolument moderne pour l’époque.

Le Protestant

Olivier de Serres aura traversé toute la période des guerres de Religion. En 1561, la communauté protestante de Villeneuve-de-Berg n’ayant pas de Pasteur, il est chargé d’aller chercher à Genève « un fidèle ministre pour les enseigner à la parole de Dieu ». Ce sera le pasteur Jacques Beton, mathématicien et ingénieur. En 1562, la France est agitée dans les guerres de Religion. Les consuls de Villeneuve procèdent à la résiliation du contrat qui confie au curé de la paroisse les ornements sacrés de l’église romaine. Ces objets sont saisis et confiés à Olivier de Serres qui les vendra car personne ne voulut en assurer la garde.

En 1573 après le massacre de la Saint-Barthélemy, sa participation à la prise de Villeneuve-de-Berg au cours de laquelle une trentaine de prêtres catholiques réunis en synode seront massacrés reste incertaine, mais il figure sur la liste des protestants réunis la veille de cette opération.

Enfin en 1628, sa propriété fortifiée du Pradel, assiégée par Montmorency, où il avait toutes ses plantations expérimentales fut rasée sur ordre de Richelieu.

De ses convictions protestantes découle une foi dans le travail. Son éducation protestante explique certainement la démarche expérimentale, le pragmatisme, la rigueur et la rationalité qui l’ont conduit à produire cet ouvrage remarquable qui sera le fondement des théories physiocratiques du XVIIIe et du XIXe siècle.

« La culture de la terre est un art inséparable d’une réflexion sur l’usage que l’homme en fait à la gloire de Dieu »

« L’art est un recueil de l’expérience et l’expérience est le jugement et usage de la raison »

Olivier de Serres


1 Par mesnage, il faut entendre économie agricole et domestique, organisation des dépenses et recettes de la maison et des champs

Compléments : voir notice Wikipedia