Le Périgord et l'industrie automobile

De WikiShap

Dans un précédent numéro de Mémoire Vivante (N° 47) nous évoquions les débuts de l’automobile en Périgord, et plus particulièrement les artisans carrossiers (fabricants de voitures hippomobiles) qui se lancèrent dans la construction d’automobiles. La découverte, ou redécouverte d’images dans notre iconothèque nous permet de visualiser la parenté évidente entre les premiers modèles périgourdins et leurs contemporains hippomobiles :

Mais, comme nous l’avons dit, cette période des « pionniers » fut courte, et aucun de ces artisans ne produisit de grandes séries. De fait, un seul périgourdin parvint à  se hisser au rang d’industriel au sens propre du terme dans ce secteur :

Sylvain Floirat, un touche-à-tout qui devint capitaine d’industrie

Bus Floirat Z10 photo JH Manara1966

Sylvain Floirat (1899-1993) naquit à Nailhac, dans une famille modeste ; après son Certificat d’Études obtenu comme tout le monde à l’époque à l’âge de 11 ans, il entre comme apprenti chez le forgeron-charron du village, puis il va travailler chez un autre forgeron qui est aussi menuisier-carrossier, à Périgueux. La légende dit que durant la 1ère Guerre mondiale, son patron ayant été mobilisé, Sylvain continue à faire tourner l’atelier et même le développe. En 1918, il effectue son service militaire dans l’aviation, ce qui explique sans doute sa passion pour l’aéronautique. Il « monte » ensuite à Paris, où il exerce son métier de compagnon charron, puis carrossier. Il fonde alors, dans les années 1930, à St Denis, sa propre entreprise de carrosserie qui modifie des châssis pour des véhicules utilitaires, puis commence dès avant la 2ème Guerre à fabriquer des autocars. C’est à la Libération, à partir de 1946, que la Cie des cars Floirat prend tout son essor, et va équiper les flottes de nombreuses compagnies de transports urbains.

La Compagnie des cars se développe, fabrique toujours à St Denis, mais aussi à Annonay : le 1000ème car sort des usines en 1952. Mais Sylvain Floirat est un visionnaire, il investit tous azimuts, dans des compagnies aériennes, dans la radio (Europe 1) et dans la presse, tout en restant très attaché au Périgord où il participe à de nombreuses manifestations et favorise le développement des zones rurales de l’est du département.

Des ateliers clandestins d’automitrailleuses en Sarladais durant l’Occupation

Couverture du Bulletin de la SAHSPN relatant cet épisode, avec photo du prototype d’automitrailleuse fabriqué en Périgord

Paradoxalement, c’est durant cette période troublée que s’installe en Périgord un véritable embryon d’industrie automobile. Tout commence en 1941, avec la rencontre entre un ancien ingénieur des usines Renault, Joseph Restany, et un certain colonel Mollard : tous deux décident de réarmer, pour les besoins de la Résistance tout juste naissante, un stock de 45 automitrailleuses Panhard qui ont été dissimulées lors de l’Armistice : les travaux sont réalisés dans la région de Castres et de Mazamet, en zone « libre » ; mais des informateurs avertissent la police de Vichy et l’appartement de Restany est perquisitionné. Cependant, grâce à des complicités à Vichy, personne n’est arrêté et les automitrailleuses sont armées début 1942.

Les deux compères ont alors un projet beaucoup plus ambitieux consistant à construire des automitrailleuses sur un châssis de camion GMC à 4 roues motrices : ils prévoient d’en fabriquer au moins 200, dans des ateliers clandestins créés près de Sarlat : l’atelier principal est à St Cyprien, un autre existe à Vitrac, et un troisième fonctionnera durant quelques semaines à Marnac. Bien que clandestine, l’entreprise est bien de taille industrielle : plus de 100 personnes concourent au projet, de nombreuses complicités existent dans les Postes, à EDF et à la SNCF qui réussit à acheminer plus de 600 tonnes de tôles blindées vers les ateliers. Les premiers essais des prototypes ont lieu en octobre 1942 dans le parc du château de la Carrière à Marquay : les Allemands sont informés, mais sont orientés vers de fausses pistes. C’est après l’invasion de la zone « libre » le 12 novembre 1942 que la traque organisée par la police allemande se fait plus intense : le colonel Mollard va être arrêté, et mourra en déportation ; trois ouvriers de l’atelier de Sarlat sont fusillés… Joseph Restany passe à la clandestinité et quitte le Périgord, et une partie du stock de pièces et d’armes est saisi par les Allemands ; certaines pièces de blindage, enfouies dans les champs, le resteront jusqu’à la Libération. Rien ne permet de savoir si le premier stock d’automitrailleuses (celles de Castres) aura été utilisé par la Résistance en 1944…

Les relations entre Michelin et le Périgord

Photo exposée dans le garage de l’hôtel Brou de Laurière (cliché MR)

Elles sont principalement basées sur la parenté existant entre les fondateurs historiques de l’entreprise de pneumatiques clermontoise et des familles de passionnés d’automobile que nous avons précédemment évoquées (Mem.Viv. N° 47), impliqués dans la fondation de l’Automobile club du Périgord : les familles De Brou de Laurière et  De Fayolle. L’épouse du Dr Paulin Brou de Laurière, qui fut l’un des premiers membres de l’Automobile-Club du Périgord, était née Cécile Daubrée : elle était une descendante en droite ligne d’Edouard Daubrée, co-fondateur dans les années 1860 de l’entreprise clermontoise Daubrée-Barbier, qui va devenir avec ses descendants la Cie des Pneus Michelin. Edouard Daubrée avait en effet épousé une Écossaise, Elizabeth Pugh-Baker, nièce de Mc Intosh l’inventeur du procédé de transformation de la gomme d’hévéa en caoutchouc ; elle-même avait créé à Clermont un atelier où des dames fabriquaient des objets décoratifs en caoutchouc ! Ce sont les descendants d’Edouard Daubrée, les frères Michelin (cousins de Cécile Daubrée), qui vont inventer - d’abord pour les vélos puis pour l’automobile - le pneu gonflable, qui fera la renommée de Michelin. Les relations entre la famille Brou de Laurière et Michelin se poursuivirent, furent en grande partie à l’origine de leur fortune et ne firent que contribuer à augmenter leur passion pour l’automobile.

Intéressons-nous au couple formé par Pierre de Brou de Laurière et son épouse Odette de Fayolle (sœur du marquis de Fayolle qui fut président de la SHAP au début du XXe siècle). Ce couple se rendit célèbre dans le domaine de l’automobile en 1930 en participant, avec leur Bugatti type 40 transformée « façon pick-up », à un raid transsaharien dont Pierre Brou de Laurière était l’initiateur. Ce couple qui habitait le bel hôtel particulier édifié en bas de la route de Paris (actuelle avenue G. Pompidou) au début du XXe siècle par le Dr Paulin de Brou de Laurière (père de Pierre) a contribué au développement de la riche collection de voitures prestigieuses initiée par Paulin, collection que leur fils Patrick légua à sa mort à le Fondation qui porte son nom et qui a pour objet le financement des recherches dans le domaine médical.

O'Galop Nunc est Bibendum.png

Mais la famille Brou de Laurière n’est pas le seul lien entre le Périgord et la grande firme de pneumatiques : en effet Bibendum, le « bonhomme Michelin » fut créé au début du XXe siècle par un dessinateur et affichiste célèbre, O’Galop, qui entre 1900 et 1920 dessina plus de 200 affiches pour Michelin. O’Galop, de son patronyme Marius Rossillon, vint se fixer en Périgord à Beynac et mourut en 1946 à Carsac-Aillac : il n’était autre que l’arrière-grand-père de Kleber Rossillon, qui exploite plusieurs sites historiques en Périgord, mais ailleurs aussi (grotte Chauvet, grotte Cosquer) : une exposition en hommage au grand dessinateur fut organisée en 2022dans les Jardins de Marqueyssac.


Michel Roy (texte paru dans Mémoire vivante n° 57 février 2025)

Sources:

  • Deglane Jean-Marie, 2003 : L’automobile en Périgord, cent ans d’histoires, Périgueux, Ed. Fanlac
  • Bulletin de la SAHSPN, 4e trimestre 2014, N° 139
  • Cusset Marie, 1993 : Sylvain Floirat, Enfant de Nailhac, Hautefort, Ed. La Montauzière
  • Borgé Jacques, Viasnoff Nicolas, 1975 : Les véhicules de l’Occupation en 300 histoires et 150 photos, Paris, Balland
  • Site web de la Fondation Patrick Brou de Laurière : https://www.broudelauriere.fr/