La Révolution en Périgord (district de Bergerac en 1790)

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DEUX DISTRICTS SOUS LA CONSTITUANTE : BERGERAC et NONTRON

Le choix de ces deux districts tient à leur opposition. Non seulement Sud contre Nord, mais taille : 9 cantons et 130 paroisses pour Bergerac, 8 cantons et 64 paroisses pour Nontron : les représentants du premier, Gontier de Biran et Laroque de Mons avaient bien défendu leur cause et il n’existait dans aucun des trois ordres de députés nontronnais !Il faut y ajouter la différence d’activité mais aussi de tempérament politique sur laquelle Rocal, avec une impartialité moyenne devait souvent revenir !

BERGERAC

Le district de Bergerac est le premier en population et en nombre d’actifs du département : 75200 habitants

Avec 160 délibérations, de sa réunion le 9 août à la fin septembre 1791, le directoire du district de Bergerac se situe dans la moyenne entre les districts faibles et celui de Périgueux qui produit le plus de délibérations. Il se réunit en moyenne de 10 fois par mois au 4°trimestre 1790 à 6,6 fois au 2°trimestre 1791, le deuxième trimestre étant marqué par une plus grande activité, comme le début de l’été. Notons qu’à la différence des autres districts, le registre du district de Bergerac exclut les affaires de biens nationaux.

Ce rythme traduit aussi le climat : la fin de 1790 voit se multiplier les questions fiscales. Ce dossier diminue d’intensité au cours de l’hiver où gonflent les affaires religieuses. Les troubles qu’elles entrainent s’ajoutent au printemps et surtout à partir de mai à une agitation qui culmine à l’été avec le mouvement des métayers d’ailleurs rapidement réprimé.

L’impression générale que donne ce district nous rapproche de celui de Montignac : tous deux sont d’une forte sensibilité idéologique qui s’exprime au moment des grands événements (émigration, serment des prêtres, Varennes). On peut en outre estimer qu’elle se traduit par le souci de gérer avec précision et équité la question fiscale même s’il existe dans ce domaine un apparent parti pris contre les prêtres et une volonté de revanche sur l’Ancien Régime.

I - La sensibilité politique : une certaine radicalité

Nous essaierons par ailleurs de repérer les personnalités politiques qui siègent au conseil d’administration et surtout au directoire composé des deux Pinet du Séran et de Saint-Aubin, Larégnère et Bonnet du Cluzel, le notaire Bruzac prenant les fonctions de procureur-syndic, son substitut étant Pinet de Saint-Aubin. La présidence de l’administration revient à Ponterie-Escot.

A - l’enrôlement de la jeunesse

On notera d’entrée de jeu le souci d’intégrer la jeunesse et de la voir proclamer idéaux et principes révolutionnaires. Lors de la réunion des électeurs pour désigner les administrateurs du district, le quatrième après-midi, 13 août se produit la visite d’une « compagnie de 18 enfants » entrés dans l’église tambour battant « en habit de garde national marchant sur deux lignes commandés par M Borie, volontaire au régiment de cette ville qui a fait ranger sa petite troupe devant et autour du bureau et dans cet ordre, l’un desdits enfants, Mr Elizée Géraud fils ainé, âgé de 9 ans monté sur une chaise en face de M le Président a prononcé un discours sur les avantages de la Constitution et les travaux de l’assemblée électorale qui a été vivement applaudi, ce premier discours suivi d’un second par M Queyrel, 12ans, qui a reçu les mêmes applaudissements et M le président leur a témoigné la satisfaction de l’assemblée et les exhortant à cultiver leurs talents et à se rendre dignes du bonheur que l’Assemblée nationale leur prépare et l’assemblée les a priés de remettre leurs discours sur le bureau pour être insérés » De ces deux discours on retiendra quelques passages. Ainsi, du haut de ses neuf ans, le petit Elizée Géraud n’hésite pas à rappeler à ses ainés «  qu’instruits sur nos véritables intérêts par nos calamités (il est temps que) nous renoncions aux projets barbares et insensés que nous a donnés le gouvernement despotique. L’Assemblé nationale animée du désir de nous rendre libres et heureux a recherché l’origine de nos droits et l’a trouvée dans les lois de la nature qui sont imprescriptibles » Et de saluer en expert ses vertueux aîné « Vous venez de donner, MM à Périgueux des preuves éclatantes de votre patriotisme » Et son ainé Queyrel est tout aussi affirmatif. Il est vrai que le maître de pension, Bourson, figure du patriotisme bergeracois, a voulu ainsi manifester «  l’exemple, unique en Dordogne, d’une telle démonstration de la prime jeunesse »

B - La défense des principes s’exprime aussi par la déclaration, très précoce en Dordogne, concernant les émigrés.

Le 17 novembre1790, en effet, le directoire reprend une adresse du directoire de Dijon qui réclame la saisie des biens de ceux qu’on appelle alors les « émigrants » et de partager le produit « applicable à la partie souffrante de nos citoyens ». Le réquisitoire du Procureur syndic est articulé sur trois points. Le premier « que font nos émigrants à l’étranger ?» constitue un réquisitoire sur les conséquences économiques (ils font sortir le numéraire ») et politiques (« irriter contre nous les puissances voisines »). Second point : l’attitude a prendre à leurs égard. Évidemment se pose la question du droit des gens à se déplacer. Mais comment l’appliquer à des gens qui le violent sous le prétexte qu’ils ne seraient pas en sécurité en France, argutie irrecevable « à présent que le peuple est calme » . Troisième élément : l’obligation pour l’Assemblée de sévir sous peine de « mettre la Constitution en danger » « Le temps de l’indulgence est passé » et elle deviendrait peu ou prou de la complicité. D’où une proposition radicale « Ou ils rentrent prêter le serment civique ou on confisque tous leurs revenus ou le quart de leurs biens »

C - Cette radicalité s’exprime tout autant vis-à-vis du clergé

1 - Il faut d’abord souligner que durant tout l’automne les signes d’impatience vis-à-vis du clergé ont été nombreux. Alors que dans tous les autres districts le clergé tient une place considérable s’agissant surtout de satisfaire à ses demandes de garantie de ses biens, notamment pour les vicaires perpétuels, les traces de ces interventions sont ici absentes. Peu de choses non plus sur le terrain des inventaires. C’est dans le domaine fiscal qu’il est question des curés. Pas moins de 14 affaires les concernant sont traitées. La plupart, soit une dizaine, relèvent du domaine fiscal et ces prêtres sont systématiquement déboutés le plus souvent avec en prime des critiques très dures. Ainsi, le curé de Colombiers est invité à la tranquillité qui doit être l’apanage de tout véritable pasteur ».

Il est vrai que certains de ces conflits prennent un tour particulier : à Lamonzie où l’on empêche le nouveau curé d’accéder à sa cure après avoir beaucoup critiqué son prédécesseur qui reçoit, cette fois le soutien du directoire qui rappelle que c’est à lui que les habitants avaient demandé de rédiger leur cahier de doléances. Quelle mouche avait piqué le curé de Lunas, le 12août ? Il est accusé d’avoir, ce jour–là, dégradé son église, dégradation chiffrée par expert à plus de 200 livres ? Mais le pire est atteint avec le « fameux » curé de Razac d’Eymet, Benaud, que nous avons retrouvé devant les tribunaux tant en 1789 à propos de la garde nationale que durant les années précédentes. Le 5 novembre, il se plaint au directoire d’ « assassinat commis sur sa personne et de dégradation de ses biens qui justifieraient un allègement de ses impôts de 275 livres ». Notons d’ailleurs que compte-tenu de l’état de ses relations avec ses paroissiens, ce type de harcèlement ne paraît même pas impossible ! Il s’attire en tous cas un réquisitoire sévère du directoire qui « estime qu’il est malheureux que le Sr curé n’ait pas su se concilier l’estime et l’amitié de ses paroissiens, qu’on ne peut vraiment se conduire plus mal que ce qu’a fait ce pasteur dans tous les temps et principalement depuis la Révolution, on peut dire qu’il est d’un très mauvais exemple dans le pays aussi est-il généralement détesté, non seulement de sa paroisse mais encore de toutes celles des environs, ses confrères n’ont pas moins d’horreur de sa façon de se comporter et le caractère de cet homme est tel que partout où il a été (et il a souvent changé de paroisse il n’a jamais pu se passer de se faire des affaires qui lui ont attiré une foule de décrets ». Notons que le directoire n’essaie même pas de nier le bien fondé de la plainte évoquant de légitimes représailles « et peut-être s’il avait été partout ailleurs il n’existerait plus ». Le directoire estime qu’il retourne dans sa paroisse où les habitants ne peuvent oublier les menaces, excès, injures. Et de conclure : « Il serait fort à désirer qu’il fut au pouvoir du Directoire d’obliger ledit sieur curé à se retirer »

2 - Dans ce contexte où l’on peut parfois évoquer des accents d’anticléricalisme, la question du serment ne pouvait se poser que de façon critique.

a) la question du serment dans le district de Bergerac

C’est le 10 février que la question du serment apparaît dans les délibérations. Après une introduction classique où l’on distinguera « les vrais amis de la patrie » et « les pasteurs ingrats et rebelles » semblables dans le sacrifice de leurs devoirs à leurs intérêts » aux évêques, la diatribe vise le »ci-devant évêque de Sarlat » qui pour « opposer une résistance criminelle aux décrets de l’Assemblée nationale(…) n’osant pas tout-à-fait leur dire de refuser le serment prescrit par la loi, il les exhorte à ne prêter que celui dont il a fait passer le modèle, serment adopté et offert dit-il par la majorité des évêques, ce serment, MM, aussi criminel qu’insidieux renouvellerait l’ordre éteint du clergé par le moyen des perfides restrictions qu’il renferme et des subtilités scholastiques dont les ecclésiastiques savent si habituellement se servir. Le vecteur de ce brûlot vient paradoxalement du diocèse d’Agen « M Parré, curé de St Quintin, district de Lauzun. Ce pasteur déshonorant le caractère dont il est revêtu n’a pas rougi de devenir un instrument honteux de la passion de ces évêques qui frémissent de rage en pensant que désormais ils seront forcés de remplir les devoirs de leur fonction et de ne donner plus l’exemple de luxe le plus scandaleux et de réformer leurs mœurs corrompues ». Les termes sont peut-être classiques mais la diatribe haineuse est d’une violence particulière en un siècle qui a connu des évêques plutôt réputés pour leur rigueur et leur générosité. Il est vrai que Mgr de Flamarens s’est illustré en d’autres termes.

b) comme ailleurs, l’élection de l’évêque est un facteur de cristallisation des oppositions. Le 17 avril, le directoire publie un réquisitoire provenant du département contre les prêtres fanatiques qui font circuler une lettre contre l’élection de Pontard dont « l’irrévérence des expressions tendent à alarmer les consciences » . Tout doit donc être fait pour retrouver les auteurs de cette lettre.


II - Une administration solide malgré les problèmes posés par les municipalités

A - La question de la fiscalité

De tous les districts, celui de Bergerac présente les réponses les plus circonstanciées aux questions concernant la fiscalité.

1 - On rappellera pour mémoire les règles définies lors de la première réunion du conseil d’administration en septembre 1790. «  il n’y a pas de meilleure forme à suivre que celle de prendre pour base la valeur intrinsèque des fonds en les classant dans un cadastre qui sera formé dans chaque municipalité lequel contiendra la contenance, la nature, la qualité et la valeur particulière des fonds en les appropriant à la classe que leur valeur et leur produit pourra comporter »

2 - La même rigueur classique apparaît sur les cas proposés.

Ainsi lors de la réclamation, le 24 janvier de Maitre de Farcies, est-il rappelé que l’impôt est fixé à 8d ½ et 1/8° par livre du 20°de l’estimation. Pour un domaine évalué à 71 900 livres la cote est donc de 294 l 18. Comme l’estimation est ramenée à 69000 livres, l’imposition s’élève seulement à 294l 18

3 - Cet exercice n’est cependant pas diminué d’approches plus politiques. Ainsi en est-il pour les fermiers des biens nobles. Cette catégorie sociale dont nous avions entrevu le rôle au moment des émeutes de janvier paraît clairement dans le viseur des autorités municipales. Ainsi Saussignac fait l’objet d’une plainte de Quintin, fermier du seigneur de Saussignac, de Pons : la municipalité l’a imposé avec effet rétroactif sur les quatre années antérieures. Or la municipalité se justifie en faisant appel à l’usage établi sur le pays de taxer les fermiers des biens nobles et surtout par la décision de Tourny jadis intendant de Guyenne ». Or la police qui établit le fermage remonte à 1785 mais avait été secrète. La municipalité a cru pouvoir remonter à l’origine de la ferme afin de faire jouir les autres contribuables d’un soulagement dont ils avaient été privés. Ce même traitement est infligé à un autre fermier

B - Cette attitude assez rigoureuse se heurte ici comme dans les autres districts à la question du comportement des autorités municipales.

1 - En matière fiscale

Il ne faut pas cependant exagérer cet aspect : dans les trois quart des cas, le district, dans les conflits fiscaux, apporte son soutien aux autorités municipales. Bien souvent, comme à Monmadalès pourtant, le conflit conduit à la convocation des deux parties. Il est pourtant des cas plus conflictuels. Ainsi quand, comme à Ste Eulalie d’Eymet, le maire prend le parti des habitants contre collecteur et empêche l’huissier aux tailles de mener son action dans une paroisse qui à la mi-décembre est encore redevable des ¾ de ses impôts. Vertement réprimandée les officiers municipaux de Conne qui ont perdu toute autorité et sont incapables d’établir un rôle : « Un peu de fermeté de la part des officiers municipaux et l’amour de leur devoir aurait prévenu ou du moins mis fin à des pareilles discordes ».

2 -  Il est pourtant une affaire qui fait l’objet d’une dizaine de délibérations, d’allers et retours entre Bergerac, Périgueux et Monbazillac qui en est le cadre. L’affaire débute le 29 septembre sur une classique plainte de refus d’inscription sur la liste des citoyens actifs sans que la marie ne puisse fournir moindre justification. L’intéressé s’est adressé au département et à la municipalité aussi. L’affaire revient à Bergerac et le maire se présente le 27 octobre. Il nie toute responsabilité dans cette affaire et dit son désarroi : absent au moment où a été prise la décision, il la désapprouve. Il n’est pas plus capable de fournir l’expédition des actes municipaux détenus par le curé officier municipal. Le 4 novembre, le district souligne avec véhémence la conduite de plus en plus irrégulière des officiers municipaux : n’ayant pu trouver le soutien auprès du département, ils ont décidé d’en référer à …l’Assemblée nationale. Ils sont convoqués munis des pièces justificatives. Le 8 novembre ils sont devant le directoire. Un premier prétend ne pas connaître le dossier. Tour à tour ils développent un raisonnement d’une rare désinvolture : pour les causes de la décision, ils renvoient aux délibérations…qu’ils n’ont pas portées. Et le curé d’expliquer que si c’est vrai qu’elles sont au presbytère chacun peut y accéder. Au passage quand même un des édiles lève un coin du voile se demandant si le sort de l’intéressé ne serait pas lié à sa fonction de fermier des rentes. Quant à l’appel à l’Assemblée, on reste très dilatoire. Le greffier est sommé de présenter les documents sous 3 jours. Le 15 novembre se présente un officier municipal absent le 8 parce que le procureur syndic de Monbazillac lui avait dit que sa présence n’était pas nécessaire. Quant à son témoignage il est aussi évasif et impertinent que celui de ses collègues. Le 1°décembre, enfin arrive le compte-rendu de la délibération du directoire. Le comportement des officiers municipaux est jugé une erreur mais encore une prévarication pour laquelle on demande six mois de suspension. La décision sur l’activité de Montupet est évidemment annulée. Mais la décision n’est pas validée par le procureur général syndic qui prétend n’avoir pas la connaissance approfondie des pièces et demande un délai. On évoque la réunion de l’assemblée primaire. On décide donc de rétablir Montupet dans ses droits. Ce n’est finalement que le 23 novembre que tombe la décision : les officiers municipaux sont suspendus mais pour 2 mois seulement. On est ici face au cas typique de la faiblesse des autorités, de la crainte absolue de tomber dans l’autoritarisme quitte à paralyser le fonctionnement du système

C - La question de l’assistance montre la difficulté de sortir des institutions d’Ancien Régime.

1° La question des enfants abandonnés. Dès l’ouverture des travaux du district se pose la question des enfants abandonnés : leur nombre aurait brutalement crû dans la décennie pré-révolutionnaire suite à législation de 1779. Souvent exposé à l’hôpital, ils sont refusés par les sœurs chargés des malades qui les transfèrent au sénéchal : leur entretien est pris en charge par Caumont-Laforce en tant qu’engagiste. Mais avec la Révolution il se dessaisit de cette fonction. D’où la tentative de recours à la saisie de ses fermiers. Mais en son absence, la procédure ne peut être appliquée. Le directoire décide donc de recourir à la caisse du receveur ou à celle des impôts.

2° Les hôpitaux de charité. Là encore le mode d’aide aux pauvres se trouve remis en question. Le directoire rappelle la situation : Bergerac compte trois hôpitaux : un «  où les pauvres malades sont reçus et soignés et 2 autres maisons qui fournissent et distribuent des bouillons, les remèdes, la soupe et autres besoins aux pauvres malades externes…Ils forment autant de communautés de filles qui s’y sont vouées au service des pauvres. L’exactitude avec laquelle ces filles s’acquittent de leurs obligations à ce sujet est au-dessus de tout éloge, leur état est vraiment méritoire et les secours de tout genre que les pauvres en reçoivent sont inappréciables ». Le mémoire se poursuit en établissant les dates de fondation : 1416 pour l’hôpital, 1692 pour la maison de charité du faubourg , la maison de charité de la miséricorde antérieure aux deux autres ». En 1790 les 3 établissements se déchargent du soin des pauvres sur le district tout en gardant provisoirement la maîtrise des fondations. Le débat s’ensuit entre district et municipalité, le premier estimant que la situation précaire ne peut perdurer et que la loi confient aux municipalités ce type d’établissement, le district n’en ayant que la surveillance. Il a le soutien du département et il semble que, malgré ses réticences la mairie ait dû se plier à cette décision ». On verra que dès la fin 1791 tout cela sera remis en question.

3° La question de l’approvisionnement est posée ici plus tôt que dans les autres districts. On voit dès le mois de septembre intervenir le comité de subsistance fondé l’année précédente à Bergerac :il doit régler assez rapidement 12000 livres à ses fournisseurs de Libourne et Bordeaux qui exigent du numéraire quand il ne dispose que d’assignats, produit de ses ventes en grains probablement des négociants locaux. Le district autorise alors le comité à échanger ses assignats au près du receveur. Signalons que les trésoriers du comité sont eux mêmes des négociants connus : Eyma et Bouchon.

On voit surtout, les moissons de 1791 à peine achevées, le conseil général du district s’engager dans une politique très active d’approvisionnement avec le concours de la ville. Le 19 août, considérant que «La disette est telle que ce que chacun a pu recueillir des grains déjà récoltés et ceux qui ne le sont pas encore seraient à peine suffisant pour fournir à la subsistance de ces habitants 6 mois de l’année, décide d’un emprunt de 15O000 livres pour achat de grains, les sommes résultant des ventes étant à mesure des entrées utilisé pour de nouveaux achats ». La délibération sera présentée à l’Assemblée nationale via le directoire du département. La décision est mise en œuvre par le directoire le 24 août qui dramatise un peu plus la situation « ne pouvant compter sur aucune ressource de la part du commerce dans les environs, les habitants du district seraient bientôt exposés aux plus grands malheurs », s’adressant au département demandant d’autoriser l’emprunt mais aussi compte tenu des délais de réponse de l’Assemblée Nationale, demande en attendant et dans l’urgence des secours ».

De son côté, la ville agissait aussi. Elle mettait en œuvre une autorisation du département obtenue la veille pour lancer une souscription au montant indéterminé pour acheter des grains « nécessaires aux besoins urgents tant de la ville que des paroisses et autres lieux du district ». en fait, il semble que la souscription avait déjà obtenu un réel succès. Le directoire « approuve le plan de la souscription pour être exécuté selon la forme et teneur et invite les bons citoyens qui n’ont pas encore souscrit à y concourir selon leurs facultés et donner la preuve de leur zèle et dévouement à la chose publique ». On reste encore une fois surpris par le caractère insolite de la démarche du district et encore davantage sur ses attendus s’agissant de la ville la plus ouverte au négoce du département. Quant au caractère désastreux de la récolte rien ne le corrobore vraiment, aucune plainte n’ayant été présentée au district pour cause de calamités.

III - UNE TENSION PROGRESSIVE AVANT L’AGITATION DE l’ÉTÉ 1791

A - L’été et l’automne 1790 sont une période de calme peu perturbé par des incidents assez bénins.

Le 19 août, les autorités signalent un enlèvement de grains par les habitants de Saint-Capraise qui interceptent une partie d’une cargaison venant de Lanquais à destination d’un boulanger de Bergerac. Le district rappelle la loi sur la libre circulation des grains et convoque le maire qui se présente le 30 avouant son impuissance « à cause de la dispersion des habitants de leur communauté ». Il lui est sommé de faire rendre les grains dans les trois jours et de désigner les coupables. S’il n’y parvient, il dressera…procès- verbal. C’est ce qu’il advint puisque le 4 septembre le directoire estime que les coupables doivent être punis selon la rigueur des lois et transmet aux tribunaux.

B - L’hiver et le printemps sont dominés par les escarmouches liées à la question religieuse

1 - L’affaire des vicaires de Bergerac.

Alors que le trésorier venait d’alarmer les autorités sur le fait qu’il n’y avait  pas « en trésorerie de quoi payer les ecclésiastiques puisqu’on a que 3000 livres et suggérait un certain nombre de mesures à prendre, le 3 janvier le procureur syndic dénonce «  les procédés scandaleux et la conduite séditieuse de MM Chrétien, Dutard et Record, vicaires de cette ville, procédés scandaleux qui annoncent et des esprits dangereux et de mauvaises intentions (cahier) « Ils se sont présentés devant le trésorier qui leur a demandé, pour les satisfaire une ordonnance du département. Comme ils en sont d’évidence dépourvus, ils manifestent de façon bruyante leur colère « L’un d’eux, M. Chrétien, ajouta qu’il cesserait l’exercice de ses fonctions et ne donnerait aucun secours aux malades fussent-ils à l’agonie ». Il semble qu’ils s’étaient en outre fait accompagner de pauvres qui attendaient leur aumône et auxquels ils proclament « que n’ayant point reçu d’argent ils ne pouvaient leur en donner ». « …IL est clair, conclut le procureur, qu’ils avaient médité cette scène et qu’en amenant cette foule de pauvres à leur suite, ils cherchaient à ameuter le peuple et le porter à quelque excès ». Faute grave ? assurément ! Seront-ils punis : non on considèrera leur faute avec indulgence à la condition qu’ils accomplissent leurs fonctions, faute de quoi leur traitement sera supprimé, et qu’ils les rendent responsables de tous les troubles que pourrait occasionner la suspension volontaire desdites fonctions. Convoqués devant le directoire le 11 janvier ils reçoivent officiellement le procès-verbal des faits et la sommation qui l’accompagne.

2 - C’est le 10 février qu’apparaît la lettre de l’évêque de Sarlat. A cette date il ne semble pas que les prestations de serment aient débuté. En tous les cas éclate à Saint-Laurent-des-Bâtons une émeute que dénonce le 14 devant le district le commandant de la garde nationale, le chirurgien Bézenac qui met nettement en cause le maire. L’affaire est assez grave pour être renvoyée devant le département. Elle revient devant le district le 15 mars où les officiers municipaux et le maire sont convoqués et à nouveau le 4 avril. On y voit le curé son prône achevé sommé de prêter le serment, la loi ayant été affichée le dimanche précédent soit le 7 février. Il répond «  qu’il n’était point obligé de lire sa condamnation, que s’il quelqu’un voulait lire la loi il en était le maître ajoutant qu’il préférait de perdre son traitement, sa fortune et même la vie s’il le fallait que de prêter le serment, sa conscience ne le permettant pas. Comment, dans ces conditions un des assistants put-il prétendre que le serment avait été lu ? Son affirmation provoqua la réaction violente d’une douzaine de femmes proclamant qu’elle ne voulait pas du serment. Le désordre se poursuivit hors de l’église avec pour cible le commandant de la garde nationale. On évoque désormais une quarantaine de femmes parmi lesquelles on reconnaît des proches du maire, famille ou employées.

La deuxième partie de l’affaire concerne le maire. Quand le conseil se réunit après les vêpres, le maire arrive muni d’un procès-verbal qui souligne le refus du serment par l’ensemble de la paroisse. Les officiers municipaux et surtout le procureur refusent la version et maintiennent que le refus n’est que le fait d’une douzaine de femmes. Excédé Bézenac se rend au directoire. Des rumeurs de nouveaux désordres s’annonçant pour le dimanche suivant, on demande au maire de convoquer la garde nationale, ce qu’il refuse. Une nouvelle réunion du conseil et le maire revient de nouveau avec un procès-verbal reprenant sa version inscrite cette fois sur les registres municipaux.

En somme, il est clair que le maire a tenté de couvrir les menées des coupables proches de lui, situation assez compréhensible quand on sait que le curé loge chez le maire.

On ne repère aucune suite de l’affaire.

3 - Le 3 mai, éclatent à Bouniagues des troubles à l’occasion de l’installation du nouveau curé suite à la fusion de 2 paroisses. La municipalité est dénoncée pour son inaction.

4 - Autrement plus grave se produit au Fleix une sédition : la Sac dénonce le 30 mai l’apparition de potences. la situation apparaît assez grave pour que d’importantes forces de l’ordre soient requises pendant l’enquête : la garde nationale de bergerac et la gendarmerie « pour en imposer aux malveillants et les contenir par la force ».

5 - Au rang des troubles, on peut ranger le conflit qui oppose les deux curés de Bergerac, figures du bon et du mauvais prêtre : Lasserre, jureur qui tente de prendre possession de sa cure quand son prédécesseur le réfractaire Gontier de Biran lui crée les pires tracas. « Tous les bons citoyens gémissent la façon dont M Gontier agit envers monsieur Lasserre ». Celui-ci  « mettant en pratique les principes de notre divin maître souffrirait toujours et ne se plaindrait jamais mais nous ne devons pas permettre qu’on abuse de son esprit de charité et nous devons dès qu’il s’occupe aussi peu de lui et qu’il ne songe qu’à nous édifier en nous prêchant toutes les vertus civiles et chrétiennes veiller à sa tranquillité. Gontier est accusé d’avoir, après 3 semaines encore, les clefs du presbytère et lui et ses gens de braver « l’ange de paix » : Gontier doit quitter le presbytère et toutes les communications avec sa propre maison attenante.

6 - Enfin à la mi-juin, c’est à Eymet qu’éclatent les troubles. Le 17 juin,, le Procureur dénonce. « Des prêtres rebelles, enfants ingrats que la patrie traite avec tant de ménagements, abusant des moyens que notre divine religion met entre leurs mains pour notre édification et notre salut, remplissent de terreur et de crainte les âmes faibles et timorées et tâchent de les porter à opposer une résistance à la loi. Ils pensent, ces insensés, dans le préjudice qu’ils creusent sourdement, de renverses une constitution qui fait leur désespoir. » La municipalité est sommée d’afficher sous 8 jours l’obligation de dénoncer les fauteurs de troubles.

Au total et s’y l’on s’en tient au nombre des faits recensés, il est clair que les questions religieuses tiennent à Bergerac une place plus important qu’ailleurs si l’on exclut Mussidan. Les liens avec la présence protestante sont d’autant plus à prendre en compte qu’ ils se manifestent dans la zone où les réformés sont le plus enracinés (Bergerac,Le Fleix, Eymet…). Il faudrait vérifier qu’il s’agit là d’anciens séminaristes de Périgueux.

C - Un été agité

1 - Varennes n’occupe dans les délibérations qu’une place mineure. La nouvelle de la fuite du roi est parvenue par Périgueux le 24. Un conseil rassemblant les autorités administratives, municipales et judiciaires s’est constitué qui a envoyé des commissaires dans toutes les municipalités. Or il se trouve que des troubles sont signalés dans deux d’entre elles.

a) Eymet où nous avons vu moins de deux semaines plus tôt se développer : « des potences(qui ont) ont été dressées dans une des places publiques et que lors du départ de cette ville d’un second commissaire envoyé par le directoire hier pour annoncer l’arrestation du roi, ces potences existaient encore. Or sur ces faits la municipalité d’ Eymet est restée totalement silencieuse dans sa correspondance avec le directoire ». Conclusion : il faudrait la sanctionner. Mais on usera « pour cette fois seulement de l’indulgence et de la mise en garde ».

b) Le 28 juin 1791, alors que le conseil est réuni , c’est la paroisse de Flaugeac qui est dénoncée : la municipalité, sans en référer à personne a organisé une escouade d’une soixantaine de personnes « armées de fusils, faux, fourches et autres instruments se serait rendue hier vers les 4h ½ du soir chez M Vaucaucour au lieu de Cluzeau pour forcer ce dernier à remettre les armes ».Offensive infructueuse d’ailleurs : le noble a résisté et les assaillants sont repartis. Conclusion : la faute de la municipalité est lourde et elle est convoquée pour se justifier. « que toute entreprise contre la sûreté des personnes est un délit grave qui mérite d’être puni. Enjoint la municipalité de lui rendre compte ».

2 - question frumentaire

Une affaire mineure se produit à Issigeac « dépourvue de blé », on fait arrêter une cargaison provenant du domaine épiscopal. Le maire demande que ce blé soit vendu de concert entre les fermiers et les autorités municipales. Accord du directoire qui témoigne de la tension déjà constatée dans ce domaine

3 - Le mouvement des métayers se déroule en plusieurs phases

a) C’est d’abord la déclaration générale du procureur, le 4 août « Des gens mal intentionnés ont parcouru diverses paroisses du district pour conseiller aux métayers de ne pas payer aux propriétaires, non seulement la dîme ni même la rêve que les propres avaient accoutumés et st fondés de prélever sur les récoltes en grains en considération des conventions faites.Que ces personnes ne se sont pas tenues à donner ce conseil aux métayers elles se sont portées à menacer les métayers qui paieraient et les propriétaires qui recevraient la dîme et le rêve. Ces mêmes personnes ont plus fait encore : elles se sont transportées à main armée sur divers domaines et ont fait faire en leur présence le partage de récolte entre le propriétaire et le métayer sans égard à la dîme et la rêve. » S’y ajoute la menace de pendaison des métayers trop zélés pour leurs propriétaires.

Le canton de Lalinde semble au cœur du mouvement et il est enjoint aux municipalités «  de prendre sans perdre de temps les informations les plus exactes pour découvrir les auteurs ».

b) le lendemain, 5 août, se produit l’affaire de Mouleydier qui illustre les propos du procureur.

Une propriétaire, « ladite Babut de Merle ayant fait faire blé fin 1et fait faire le partage de sa récolte en grain à sa grande métairie du lieu de Merle, le 1° août, elle préleva une rêve de 11 pognerées2 de froment sur la portion dudit métayer qu’elle fit porter à son grenier. Quelque moment après, allant entrer chez elle, 15 à 18 personnes, presque toutes armées de fusils dont elle reconnut le nommé Gros, métayer du sr Lamothe à St Agne, Pierre, métayer du sr de Carles, Roudier, Brin , fils de l’ancien métayer de la Bourdette, tous trois habitant St Agne, trois autres habitant le village de Tuilière, paroisse de St Cybard3, et avec eux le propre métayer de la demoiselle ». Sommée de remettre la rêve à son métayer, elle s’exécute. En même temps qu’est rappelée à l’ordre la municipalité dénonce la paroisse de Saint-Agne comme le foyer le plus actif des troubles.« foyer par où ont commencé les horreurs et que dans cette paroisse et dans les environs il a été commis les mêmes vexations, les mêmes violences que chez la demoiselle Babut.

Dénonciation à l’accusateur public des attroupés rendus chez la demoiselle Babut.

c) 12 Août :

Si nous n’avons pas d’information directe sur la répression, nous avons à travers la délibération du directoire, le 12 août, une information indirecte sur celle-ci. Il s’agit d’examiner la demande que présentent «  les voituriers qui ont transporté les vivres, canons et munitions de guerre à St Agne et dans les environs nécessaires à plusieurs détachements qui s’étaient portés dans ce lieu et s’y étaient réunis pour dissiper les attroupements qui s’y étaient formés avec armes et pour protéger les commissaires tant du directoire que du tribunal qui s’y étaient portés aussi pour commencer une procédure contre les coupables et faire arrêter ceux qui seraient reconnus tels.

Le même jour après avoir rappelé les conditions de la répression à Saint Agne « en appelle à la mobilisation et en particulier à une extrême attention pour empêcher que le tocsin qui est pour les factieux un signal de ralliement et pour les honnêtes citoyens un sujet d’épouvante ne soit sonné dans les paroisses que pour les causes nécessaires ». S’en suit l’interdiction d’en user« même quand ils l’entendent sonner dans les paroisses voisines » et en cas d’usage « ils ne pourront éviter la responsabilité que s’ils prouvent par un procès-verbal qu’une force à laquelle ils ne pouvaient résister s’était emparée de la cloche »

13 août :

Alors qu’est donc terminée la première vague du mouvement, on entre à la mi-août dans le contexte incertain qui les accompagne. La dénonciation de l’attitude de Faux montre que l’inquiétude persistait, au point que certaines municipalités aient tenté de négocier. Cette commune est fortement critiquée pour avoir formulé le projet de réunir le lendemain les habitants « pour faire des arrangements entre propriétaires et métayers au sujet de la rêve et dîme »

Non seulement le directoire interdit cette réunion mais en appelle à la Garde nationale de Lanquais et de Creysse de se transporter sur la paroisse de Faux avec force suffisante. et si besoin, requérir les municipalités voisines

Il est évident que ces faits ne peuvent prendre sens que dans le cadre d’une étude plus globale du mouvement qui concerne aussi les districts de Ribérac et Mussidan et provoque une vaste mobilisation du Département. : cf chapitre V

Conclusion.

On constate donc une sensibilité particulière du district de Bergerac :

1 - en ce qui concerne le caractère limité des troubles ou de débats sur le paiement par les propriétaires des rentes et l’élection des juges de paix où, à un cas près, les institutions ont fonctionné normalement

2 - Une sensibilité politique particulière marquée par la force de l’affirmation des principes et la mobilisation contre émigrés et réfractaires et un appel à la sévérité voire à la « terreur »(encore faut-il la prendre dans le sens de 1790-91. Encore que pour certains historiens l’emploi du mot montre au contraire que l’esprit qui présida aux violences de l’An II était bien déjà en gestation (cf par exemple Patrice Gueniffey, La politique de la Terreur, Paris, Gallimard, coll Tel,2012).

3 - Sur le plan économique une attention beaucoup plus élevée qu’ailleurs à la question des grains et notamment à l’été 1791 comme le confirment les délibérations des Jacobins.

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1 C'est-à-dire tamisé le blé, ce qui augmente la charge qualitative. Cette opération sur laquelle insiste Delpont est un préalable à la mise sur le blé qui est alors dit « marchand »

2 Preuve que le montant de la rente se mesure en sacs qui indiquent sa lourdeur !

3 C'est-à-dire Mouleydier