Les délices de la France

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L’invention du « guide touristique » : Les Délices de la France, de François-Savinien d’Alquié (édition de 1685)

Ce n’est qu’avec l’instauration des congés payés en 1936 – deux semaines par an – que le plus grand nombre a pu prétendre faire du tourisme, mais il a fallu attendre la fin des années 1950 pour qu’il se développe réellement dans les classes moyennes, avec la troisième semaine de congés payés. Ce n’est pas dire que le tourisme n’existait pas avant le XXe siècle, ni ce que l’on nomme aujourd’hui un « guide », mais ce type d’ouvrage était d’une autre nature et ne s’adressait pas aux mêmes catégories sociales.

Les premiers guides à l’usage du voyageur

Fig. 1

Le premier livre à explorer le territoire de la France paraît en 1552. C’est l’œuvre du médecin imprimeur Charles Estienne (1504-1564), qui le nomme La Guide [1]des chemins de France. Son but était alors d’indiquer aux pèlerins les routes à suivre pour aller à Rome ou à Saint-Jacques-de-Compostelle. Il eut beaucoup de succès et, à sa suite, d’autres « guides » ont été publiés, dont Le Voyage de France dressé pour l’instruction et commodité tant des Français que des estrangers, de Charles de Varennes, en 1639 (présent dans la bibliothèque de la SHAP). Les Délices de la France (1670) de François- Savinien d’Alquié conserve les principes de ses prédécesseurs : malgré ses dimensions (600 pages), il reste aisément maniable grâce à un format in-12, et donne au voyageur des éléments encyclopédiques sur les lieux traversés. L’édition de la bibliothèque de la SHAP [2]est celle de 1685 (fig. 1) ; le livre fut constamment réédité jusqu’à nos jours, y compris récemment en reprint par un éditeur étranger.

Ce n’est qu’à partir du XVIe siècle que des personnes aisées se déplacent pour satisfaire leur curiosité et pour leur plaisir, non pour les affaires : on connaît notamment le texte de Montaigne au retour de son voyage en Italie. La Cour étant installée à Versailles sous Louis XIV, peu de Français entreprenaient de voyager pour leur agrément, comme le faisait par exemple Madame de Sévigné ou, au XVIIIe siècle, Saint-Simon. Cependant les livres pour aider les voyageurs ont du succès, comme le Voyage de Chapelle et Bachaumont (1663), sorte de guide en prose et en vers pour, notamment, indiquer les bonnes tables. Ce n’est vraiment que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle que les voyages d’agrément se multiplient : ils sont d’abord et surtout le fait d’aristocrates anglais fortunés qui entreprennent le « Grand Tour », voyage circulaire en France, en Italie et en Suisse – de là vient le mot tourist (vers 1780, du français tour au sens de « voyage »), introduit en français en 1803 à propos de voyageurs anglais. En France, les classes aisées se déplacent elles aussi au XIXe siècle, ce que favorise le développement du chemin de fer. En même temps, les guides se multiplient : en Grande-Bretagne, le guide Murray (1836, sur la Hollande, la Belgique et la Rhénanie), en France le guide Joanne (1841, devenu le Guide bleu après 1914), en Allemagne le guide Baedeker (1843).

Un titre programmatique

Fig. 2

Le titre complet de l’ouvrage de François-Savinien d’Alquié est Les Délices de la France ou Descriptif des Provinces & Villes Capitales d’icelle : comme aussi La Description des Châteaux & Maisons Royalles. Plus celle des nouvelles Conquêtes, avec leurs figures au naturel. Il faut entendre le mot délices au sens de « ce qui ravit ». Les diverses provinces sont donc décrites de manière plus ou moins développée selon leur importance économique, leurs particularités géographiques, le nombre des monuments et lieux considérés remarquables et, également, l’abondance des anecdotes curieuses à propos des habitants ou d’un monument. L’ensemble comprend aussi une carte de France et quarante-neuf dessins à la plume, avec une place privilégiée pour Versailles : outre un plan de la ville, sont donnés une représentation du château, des écuries (fig. 2), du labyrinthe, de la ménagerie royale – tous les animaux qui l’occupent cités. La province du Périgord est présentée en une page générale (p. 450), Périgueux a droit à un peu plus de deux pages (451- 453). La notice concernant Sarlat (p. 453-455) inclut d’autres lieux ; elle est prolongée avec une partie sur Libourne et Bourg.

Une vision du Périgord

La région est divisée en « haut et bas Périgort ». On y insiste sur l’aspect géographique et le fait que la province est surtout couverte de châtaigniers qui donnent nourriture aux habitants et permettent l’élevage des porcs. Les châtaigniers fournissent en outre le bois nécessaire aux forges. Sans autre précision, la province produit « du vin extrêmement délicat, bon et nourrissant, qui n’est point fumeux[3] , ni incommode à l’estomac ». Des remarques sont ajoutées sur la qualité de l’air, qui exclut les maladies contagieuses, et sur la présence d’eaux utiles pour les soins. L’histoire de Périgueux est inscrite dans un mythe fondateur : la ville aurait été établie par les enfants de Noé, et pour cela dénommée autrefois Japhet. Le « guide » la présente comme divisée en deux, « en ville et en cité ». Les principaux monuments sont énumérés, l’amphithéâtre désigné par « les Rolphies ou Cacarota », « la Tour de Vésonne ou Veysonne, d’une forme ronde et fort spacieuse […] n’a ni fenêtres ni portes, et on n’y peut entrer que par deux grilles souterraines, ce qui fait croire que c’était autrefois un temple de Vénus ». Quelques curiosités : « Il y a un bourg qu’on nomme Marsac, près duquel il y a une fontaine qui a le flux comme la Mer ». La région est d’ailleurs considérée comme « merveilleuse pour des lieux souterrains », et notamment pour « une caverne près de Miramont qu’on appelle le Cluseau[4], qui a 5 ou 6 lieues sous terre, où on voit des salles et des chambres pavées à la mosaïque, des autels, & des belles peintures, des fontaines, & des fleuves, dont l’un a 120 pieds de large, au-delà duquel on voit une vaste campagne, où pas un n’a eu encore la hardiesse d’aller, & dont la rapidité est extrême ». Une anecdote enfin concernant Périgueux : « la ville est bâtie sur un étang souterrain : parce qu’on a remarqué que le grand puits de la place, qu’on a bouché depuis quelques années, à cause que les femmes de mauvaise vie y précipitaient leurs enfants, était un abîme sans fond, & d’autant que ceux qu’on y a descendus ont rapporté qu’ils voyaient une grande étendue de pays couverte d’eau ».

De Sarlat, on retient que « sa grandeur est médiocre, mais sa laideur est très grande » ; « la bonne chère y est ordinaire, les truffes à bon marché, & l’huile de noix plus qu’il n’en faut pour faire des sauces ». On y remarque beaucoup de maisons religieuses et l’on y pêche beaucoup de saumons à deux lieues de la ville. Cadouin est évoqué pour ses « belles reliques » et son suaire. D’autres lieux ne sont que cités, en particulier aux abords de la Dordogne, mais Bergerac se distingue comme « une des plus agréables villes du Royaume […] où l’on se divertit le mieux, soit pour faire bonne chère, ou pour avoir des personnes bien faites pour s’entretenir, pour jouer, & pour se promener ; qui est riche & marchande & où l’abondance règne avec le plaisir ». En réalité, déjà au XVIIe siècle, ce sont les bourgs et bastides édifiés tout au long du fleuve qui semblent mériter le détour des voyageurs. Ils seront séduits par cette formule commerciale avant l’heure de l’auteur des Délices de la France : « Tout le pays qui est sur la rivière de Dordogne est une petite Égypte ».

Chantal Tanet

L’orthographe de tous les passages cités a été modernisée.

Notes

  1. Guide a d’abord été un nom féminin.
  2. SHAP1018128.
  3. « qui envoie des vapeurs à la tête ».
  4. Désignation ancienne de la grotte de Rouffignac, déjà décrite à peu près dans ces termes au XVIe siècle par François de Belleforest dans La Cosmographie universelle de tout le monde (1575).