« La mosaïque du théâtre de Périgueux » : différence entre les versions

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Malgré l’extension de 1993 qui a à la fois rompu l’harmonie originelle de la colonnade qui cernait la façade courbe de la salle de spectacle, et sacrifié sept des quinze panneaux sculptés de Gilbert Privat, l’édifice reste un monument emblématique de l’architecture des Trente Glorieuses à Périgueux.
Malgré l’extension de 1993 qui a à la fois rompu l’harmonie originelle de la colonnade qui cernait la façade courbe de la salle de spectacle, et sacrifié sept des quinze panneaux sculptés de Gilbert Privat, l’édifice reste un monument emblématique de l’architecture des Trente Glorieuses à Périgueux.
'''Des « Pierres éblouies » réalisées pour Périgueux'''
Pour offrir un décor d’exception à la hauteur des attentes des Périgourdins envers ce nouvel équipement, c’est à un atelier d’artistes novateurs en pleine ascension que la municipalité choisit de commander une mosaïque. On identifie, sous le nom de Becker, le mosaïste Paul Becker (1920-2000), tandis que nous n’avons pas encore clairement identifié la personne qui se cache sous le patronyme « Vauzou » et qui est à l’origine du dessin de la composition. D’autres œuvres en collections particulières portent la signature « VB », indiquant que cette collaboration artistique dura plusieurs années.
Paul Becker, né à Troyes en 1920, s’installe en 1950 en Dordogne, au moulin de Monchaty, où il expérimente la mosaïque dès 1952. Avec sa femme Paule, ils cherchent obstinément à mettre au point un liant leur permettant de rassembler dans une même œuvre des fragments de verre, de cristal, de marbre, mais aussi de nacre, de bois ou de cuivre. Ce sera chose faite en 1961.
L’œuvre du Palais des Fêtes de Périgueux (fig. 4), réalisée en 1961, fut donc l’une des toutes premières réalisations des Becker avec cette nouvelle technique, et la première commande publique dont s’enorgueillira le Maire de l’époque, Lucien Barrière, quand les Becker rencontreront un succès national et international croissant dès 1962-1963. La technique inventée par l’atelier Becker fut rapidement reconnue tant pour l’invention qu’elle constituait que pour les perspectives artistiques qu’elle ouvrait. Il s’agissait pour André Maurois d’« une nouvelle forme d’art, ni tapisserie, ni peinture, ni vitrail, ni mosaïque, ni même sculpture, mais un peu tout cela à la fois ». C’est ainsi que ces œuvres, d’abord qualifiées de « tapisseries de pierre », prirent le nom plus poétique de « pierres éblouies ». « Tu as apporté une chair à l’épiderme de la mosaïque » lui apportera Jean Cocteau en réponse à ses réalisations. La reconnaissance de son travail lui apportera quelques commandes publiques à Périgueux (fig. 5).
Paul Becker perdra sa femme Paule en 1966 et quittera la Dordogne à la fin des années 1960 pour s’installer en Essonne où il poursuivra son œuvre.
'''La mosaïque du Théâtre de Périgueux, un hymne à l’art dramatique'''
L’œuvre du Théâtre de Périgueux, outre la qualité plastique de sa réalisation, marque par son iconographie inspirée par la vocation artistique du lieu qui l’abrite. Le dessin dû à l’artiste Vauzou illustre le thème du théâtre.
Formée d’un agencement de panneaux rectangulaires, l’œuvre est centrée sur la silhouette rouge d’un comédien, dans une position très dynamique, les jambes se terminant en pointes acérées. Il est pourvu d’un masque expressif inspiré du théâtre antique et orné d’une couronne de laurier. Ce masque fait écho au panneau de droite qui représente la tête d’Œdipe, identifiable à ses orbites noires renvoyant à la fin tragique d’Œdipe qui se crèvera les yeux. Le visage fin de cet Œdipe n’est d’ailleurs pas sans rappeler les traits de Jean Cocteau, auteur de la tragédie Œdipe roi en 1937. Un personnage féminin nu sur le panneau de gauche peut être lu comme une allégorie artistique ; sa posture toute en courbes maniéristes nous évoque en particulier l’art de la chorégraphie. Quelques autres symboles célébrant le théâtre classique émaillent l’œuvre : le rouleau en partie basse rappelle la littérature et la musique, socles de la création théâtrale, tandis que le chapiteau schématique en haut à droite, est une allusion à l’architecture grecque classique et en particulier l’ordre ionique avec ses volutes (fig. 6). L’ensemble de la composition est surmonté d’un rideau de théâtre.
La toute nouvelle technique de l’atelier Becker à Nanthiat permet de rehausser la composition sur fond de pierres nacrées et grises par des touches vives de verre coloré lui donnant toute sa puissance, à l’image de l’éclat de la chevelure dorée du personnage féminin.
On peut regretter que l’œuvre ait été fragmentée lors des travaux du théâtre en 1993 – la partie représentant Œdipe ayant été séparée du reste de l’œuvre, afin de créer une ouverture –, mais il est salutaire qu’elle ait été conservée au sein du lieu de culture pour lequel elle avait été produite.<blockquote>Jeanne-Thérèse Bontinck, ''Cheffe de projet Architecture et Patrimoine au Service Ville d’art et d’histoire de Périgueux ('' texte publié dans ''Mémoire vivante n° 48 )''</blockquote>

Version du 19 mars 2024 à 18:15

Le Palais des Fêtes de Périgueux

L’actuel Théâtre de Périgueux, œuvre de l’architecte urbaniste Robert Lafaye, est inauguré le 2 septembre 1961, sous le nom de « Palais des Fêtes », après trois années de travaux de construction. La soirée d’inauguration était ainsi l’occasion de valoriser l’édifice architecturalement le plus remarquable du projet d’aménagement du quartier Sainte-Ursule (fig. 1). Ce programme urbain d’ampleur avait engendré la démolition de l’ancien couvent éponyme au milieu des années 1950.

Pour autant, le Théâtre n’était pas encore achevé du point de vue décoratif en 1961 : les quinze panneaux monumentaux en staff sculptés par Gilbert Privat, qui allaient orner la partie supérieure du promenoir, ne furent installés qu’en 1964. Ces sculptures étaient pourtant prévues dès le dessin du projet.

Malgré un chantier pas complètement achevé, le décor intérieur était prêt pour l’inauguration, et en particulier l’œuvre en mosaïque signée Vauzou-Becker. Le livret d’inauguration du Palais des Fêtes la mentionne en ces termes : « Les fresques intérieures en mosaïque de Venise sont de MM. BECKER et VAUZOU à Nanthiat (Dordogne) ». Ce livret présente même un dessin préparatoire de la figure principale de la mosaïque (fig. 3).

Malgré l’extension de 1993 qui a à la fois rompu l’harmonie originelle de la colonnade qui cernait la façade courbe de la salle de spectacle, et sacrifié sept des quinze panneaux sculptés de Gilbert Privat, l’édifice reste un monument emblématique de l’architecture des Trente Glorieuses à Périgueux.

Des « Pierres éblouies » réalisées pour Périgueux

Pour offrir un décor d’exception à la hauteur des attentes des Périgourdins envers ce nouvel équipement, c’est à un atelier d’artistes novateurs en pleine ascension que la municipalité choisit de commander une mosaïque. On identifie, sous le nom de Becker, le mosaïste Paul Becker (1920-2000), tandis que nous n’avons pas encore clairement identifié la personne qui se cache sous le patronyme « Vauzou » et qui est à l’origine du dessin de la composition. D’autres œuvres en collections particulières portent la signature « VB », indiquant que cette collaboration artistique dura plusieurs années.

Paul Becker, né à Troyes en 1920, s’installe en 1950 en Dordogne, au moulin de Monchaty, où il expérimente la mosaïque dès 1952. Avec sa femme Paule, ils cherchent obstinément à mettre au point un liant leur permettant de rassembler dans une même œuvre des fragments de verre, de cristal, de marbre, mais aussi de nacre, de bois ou de cuivre. Ce sera chose faite en 1961.

L’œuvre du Palais des Fêtes de Périgueux (fig. 4), réalisée en 1961, fut donc l’une des toutes premières réalisations des Becker avec cette nouvelle technique, et la première commande publique dont s’enorgueillira le Maire de l’époque, Lucien Barrière, quand les Becker rencontreront un succès national et international croissant dès 1962-1963. La technique inventée par l’atelier Becker fut rapidement reconnue tant pour l’invention qu’elle constituait que pour les perspectives artistiques qu’elle ouvrait. Il s’agissait pour André Maurois d’« une nouvelle forme d’art, ni tapisserie, ni peinture, ni vitrail, ni mosaïque, ni même sculpture, mais un peu tout cela à la fois ». C’est ainsi que ces œuvres, d’abord qualifiées de « tapisseries de pierre », prirent le nom plus poétique de « pierres éblouies ». « Tu as apporté une chair à l’épiderme de la mosaïque » lui apportera Jean Cocteau en réponse à ses réalisations. La reconnaissance de son travail lui apportera quelques commandes publiques à Périgueux (fig. 5).

Paul Becker perdra sa femme Paule en 1966 et quittera la Dordogne à la fin des années 1960 pour s’installer en Essonne où il poursuivra son œuvre.


La mosaïque du Théâtre de Périgueux, un hymne à l’art dramatique

L’œuvre du Théâtre de Périgueux, outre la qualité plastique de sa réalisation, marque par son iconographie inspirée par la vocation artistique du lieu qui l’abrite. Le dessin dû à l’artiste Vauzou illustre le thème du théâtre.

Formée d’un agencement de panneaux rectangulaires, l’œuvre est centrée sur la silhouette rouge d’un comédien, dans une position très dynamique, les jambes se terminant en pointes acérées. Il est pourvu d’un masque expressif inspiré du théâtre antique et orné d’une couronne de laurier. Ce masque fait écho au panneau de droite qui représente la tête d’Œdipe, identifiable à ses orbites noires renvoyant à la fin tragique d’Œdipe qui se crèvera les yeux. Le visage fin de cet Œdipe n’est d’ailleurs pas sans rappeler les traits de Jean Cocteau, auteur de la tragédie Œdipe roi en 1937. Un personnage féminin nu sur le panneau de gauche peut être lu comme une allégorie artistique ; sa posture toute en courbes maniéristes nous évoque en particulier l’art de la chorégraphie. Quelques autres symboles célébrant le théâtre classique émaillent l’œuvre : le rouleau en partie basse rappelle la littérature et la musique, socles de la création théâtrale, tandis que le chapiteau schématique en haut à droite, est une allusion à l’architecture grecque classique et en particulier l’ordre ionique avec ses volutes (fig. 6). L’ensemble de la composition est surmonté d’un rideau de théâtre.

La toute nouvelle technique de l’atelier Becker à Nanthiat permet de rehausser la composition sur fond de pierres nacrées et grises par des touches vives de verre coloré lui donnant toute sa puissance, à l’image de l’éclat de la chevelure dorée du personnage féminin.

On peut regretter que l’œuvre ait été fragmentée lors des travaux du théâtre en 1993 – la partie représentant Œdipe ayant été séparée du reste de l’œuvre, afin de créer une ouverture –, mais il est salutaire qu’elle ait été conservée au sein du lieu de culture pour lequel elle avait été produite.

Jeanne-Thérèse Bontinck, Cheffe de projet Architecture et Patrimoine au Service Ville d’art et d’histoire de Périgueux ( texte publié dans Mémoire vivante n° 48 )