La chartreuse de Chaulnes à Grignols

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Vue générale

La Chartreuse des Chaulnes1, située entre Saint-Astier et Grignols, présente une forme de majesté empreinte cependant de modestie. Majestueuse car plantée fièrement sur un promontoire au centre d’un domaine de 160 ha. Mystérieuse, elle ne l’est pas moins, car elle se laisse découvrir par petites touches, lorsqu’on arrive par la longue allée d’un kilomètre : d’abord les tours et toits puis peu à peu le corps des bâtiments. L’édifice s’étend sur un immense quadrilatère de 75 mètres de côté. Trois des quatre pavillons d’angle d’origine subsistent. Le quatrième s’est effondré à la suite d’un total manque d’entretien au cours du XXe siècle qui par ailleurs a conduit cette chartreuse à un délabrement majeur dans les années 1980, jusqu’à l’achat du domaine par le Lycée agricole et agroalimentaire de Périgueux pour en faire son exploitation agricole lieu d’applications et d’expérimentation. Une vaste rénovation a alors été entreprise par l’architecte Alain de La Ville qui a su parfaitement respecter l’esprit des lieux tout en refermant le quadrilatère. Les bâtiments latéraux qui servaient de chai ont été réaménagés en salles de travail et d’accueil. Une chapelle occupait le pavillon du levant ; l’ordonnance de sa porte d’entrée, avec son chambranle aux modératures accentuées, sa corniche à frise bombée et ses proportions un peu trapues peuvent être datées du début du XVIIIe siècle. Enfin un puits circulaire à margelle de pierre trône dans la cour sous une charpente.

Aile ouest

Avant 1650 ce domaine appartenait à la famille de Solminihac, puis de 1650 à 1882 plusieurs générations de la famille de Labastide s’y sont succédées. Adrien de La Bastide achètera donc ce domaine aux Solminihac qui le démembrent de leur seigneurie de Belet. Les La Bastide sont connus au XVIe siècle à Grignols où ils prennent alliance dans la petite noblesse ou la bourgeoisie. Les La Bastide se transforment en de La Bastide à la fin du XVIIe siècle et à cette époque ont aussi pignon sur rue à Périgueux. Parmi les enfants d’Adrien, Michel est chanoine de la cathédrale Saint Front à 22 ans, deux filles sont religieuses, Pierre fut conseiller au présidial avant d’être reçu en 1731 dans les gendarmes de la garde du roi. Il y servira pendant 19 ans. Son fils Pierre-Valentin rentrera également à 14 ans dans la maison du roi. Il consacrera ainsi la réussite des « Bastide » forgée successivement par 6 générations avant lui. Pierre-Valentin vote en 1789 dans la noblesse du Périgord. Marié à Jeanne Cluzel de la Beychénie, il aura Marie-Antoinette, (supérieure des visitandines à Périgueux en 1789, elle mourra en prison), Marie Thérèse, (clarisse), Marie-Rose, (mariée à Alexis de Salleton maire de Périgueux) et enfin Pierre Georges qui émigrera en 1789. Son fils, Pierre-Louis Joachim, resté en Allemagne décède en 1856 à Bulach. Sa mère Anne-Marie, née VIgneras vit et réside encore aux Chaulnes dont elle avait fait donation à Pierre-Louis en 1850. Cependant celui-ci a plus ou moins dilapidé le domaine, qui sera démembré et mis en vente par l’oncle des enfants de Pierre-Louis. Seule la chartreuse restera dans la famille jusqu’en 1882. Entre 1876 et 1882 Pierre Edouard Faure, alors maître à Pont Saint-Mamet acquiert la totalité du domaine.

Commence alors une nouvelle ère pour ce domaine. Jusqu’en 1939, Les Chaulnes restent dans la famille Faure. Le petit-fils Paul en sera le plus illustre représentant. Il sera avocat, maire de Grignols, secrétaire général de la SFIO, ministre sous la IVe République dans les cabinets Léon Blum et Chautemps. Cependant en 1940, ayant accepté de siéger dans le Conseil National de l’Etat français sous Pétain ; il tomba en disgrâce et exclu du parti socialiste 1944. Mort en 1960, il est inhumé à Douville dans l’anonymat.

De 1939 à 1984, le domaine a subi une lente et profonde dégradation. D’abord dans l’immédiat après-guerre en raison d’une surexploitation des terres et d’un manque d’entretien voire de dégradation des bâtiments. Dans les années 50 on a détruit un magnifique portail vouté qui marquait l’entrée dans le quadrilatère. Puis à partir des années 1960, faute d’exploitation par deux vieilles demoiselles seules et miséreuses, les 160 ha sont tombés pratiquement friches.

Vaches limousines à Chaulnes

L’acquisition par le lycée agricole – par échange avec la propriété de Sallegourde, alors domaine de cet établissement, pour réaliser le Golf de Périgueux– redonne une nouvelle vie à cette belle chartreuse. Grâce à la restauration des bâtiments, Les Chaulnes deviennent un lieu d’accueil privilégié soit pour des classes vertes soit simplement pour des touristes dans des gites aménagés, soit pour des réceptions dans une salle dédiée. Quant à la ferme, elle est devenue une référence notamment par son élevage de Limousines.

Enfin, les documents cadastraux de la fin du XIXe siècle nous permettent de comprendre l’organisation de ce domaine : 7 métairies faisant vivre 8 familles soit 33 personnes le composent. Chacune d’entre elles a donc une surface d’environ 20 à 25 ha, à l’époque cela correspond à une dimension pouvant être travaillée par 2 paires de bœufs. La vigne occupe une place importante, au total 13 ha. La forêt, essentiellement de châtaigniers, occupe une place moins importante qu’aujourd’hui : 52 ha contre 70. Telle est l’histoire méconnue de cette belle chartreuse.


Maurice Cestac ( Mémoire vivante n°28 septembre 2022)


1 Le domaine des Chaulnes. (La vie d’une chartreuse d’un régime à l’autre). Bulletin de la SHAP ; CXXVII, année 2000 ; Maurice Cestac.

Le Périgord des Chartreuses : Jean Marie Belingard, Dominique Audrerie, Emmanuel Du Chazaud ; éditions Pilote 24