Clairvivre, hôpital alsacien 1939-1945

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Construite en 1933 par la Fédération des Blessés du poumon présidée par Albert Delsuc, la Cité sanitaire de Clairvivre offrait, au sein d’un vaste espace naturel, des pavillons d’habitation, un grand hôtel-sanatorium, un hôpital-dispensaire et des services industriels : imprimerie, garage, buanderie, abattoirs, etc. Les installations étaient toutes extrêmement modernes pour l’époque : eau courante, chauffage électrique, salles de bains, cuisinières électriques, réfrigérateurs, etc.

Ce confort moderne avait son revers : la centrale électrique fonctionnait au mazout ; si elle n’était pas suffisamment approvisionnée, elle s’arrêtait et tout avec. C’est ce qui se produisit au moment des grandes grèves de 1936. Alors « de nombreux habitants, jugeant la situation intolérable, choisirent de partir. La cité se vida (1) ».

L’évacuation des Hospices civils de Strasbourg

     Le 1er septembre 1939, jour de la mobilisation générale, le plan d’évacuation des populations et services proches de la ligne Maginot fut déclenché. A la déclaration de la guerre, le 3 septembre, cette zone était vide.

     Après une étape intermédiaire d’environ huit à dix jours au Hohwald, les Hospices civils furent dirigés vers le lieu d’évacuation prévu pour eux : Clairvivre.

     La Fédération des Blessés du poumon mit à leur disposition un certain nombre de bâtiments : au Grand hôtel, dans la partie postérieure, six étages (du 3e au 8e inclus) et la partie est du sous-sol ; dans les Magasins généraux, la rotonde avant du rez-de-chaussée, le 2e étage en entier, une grande partie du 3e étage et la rotonde supérieure avant du 4e étage ; le garage situé en face de l’entrée postérieure du Grand hôtel.

     Mais ces locaux se révélèrent vite insuffisants tant en place qu’en matériel : « Pendant plusieurs semaines, à défaut du matériel le plus indispensable (lits, matelas, etc.) les malades, pensionnaires, enfants, ainsi que le personnel, soit au total près de 2500 personnes, ont dû coucher sur la paille. Les matelas ne suffisaient même pas pour les grands malades et les locaux étaient bien trop exigus pour loger toute la population transférée. En outre, les Hospices civils ne disposaient pas de services généraux et, faute d’installations, une partie de la nourriture a dû être préparée dans la cuisine de la Fédération des Blessés du poumon. Quant au reste, des marmites de fortune chauffées au bois ont dû être installées en plein air. Au total l’insuffisance de l’installation et de la nourriture a eu pour conséquences dès les premiers jours une diminution sensible du niveau sanitaire et une augmentation corrélative de la mortalité 2 ».

     La Direction fit rapatrier de Strasbourg du matériel de literie et des articles pharmaceutiques : 36 wagons arrivèrent à la fin de septembre et 35 autres fin février 1940. Des pavillons supplémentaires furent cédés par le Service de santé militaire et la Fédération des Blessés du poumon. En attendant, des lits furent prêtés par ces deux organismes.

    Pour décongestionner les services, fin septembre, la clinique infantile et la maternité furent transférées dans les immeubles des nouveaux services des Hospices civils de Périgueux, l’hôpital Parrot, moyennant un loyer annuel de 600 000 F. Enfin à compter du 1er novembre, le château de Leyzarnie à Manzac-sur-Vern fut mis à la disposition des Hospices civils pour y installer un sanatorium pour femmes.

Retour à Strasbourg

   Après la signature de l’armistice de juin 1940, les autorités allemandes réclamèrent le retour des Hospices civils.

    Les retours s’échelonnèrent entre le 1er septembre et le 21 octobre par 7 trains spéciaux ramenant 1735 personnes et 166 fourgons. Une centaine d’autres personnes rentrèrent par leurs propres moyens ou dans les véhicules appartenant aux Hospices 3.

L’hôpital des réfugiés

    Tout le personnel n’avait pas voulu revenir en Alsace : des médecins, comme le professeur Fontaine qui avait rejoint Clairvivre en juillet après sa démobilisation, des religieuses, des infirmiers avaient refusé de rejoindre une Alsace germanisée. L’Argus du Périgord du 28 août pouvait ainsi annoncer la reprise par le professeur Fontaine de la direction de la clinique chirurgicale A de Strasbourg et de ses consultations au dispensaire de Périgueux. Même annonce le 5 septembre pour le professeur A. G. Weiss qui reprenait la clinique chirurgicale B.

    Tous cherchaient les moyens de continuer l’activité de l’hôpital. Dans sa réunion du 27 août, la commission administrative s’était déclarée favorable, en principe, au maintien en Dordogne d’un hôpital de 120 lits.

     Dès lors, Charles Frey, accompagné de MM. Lucius, administrateur délégué de l’hôpital (limogé par les Allemands), et Pautrier, médecin-chef, entreprit une série de démarches auprès des autorités de l’Etat pour faire avancer le projet qui fut soumis à Paul Valot, directeur des services d’Alsace Lorraine, le 4 septembre.

     Le 25 septembre, le Directeur général des réfugiés annonçait au préfet de la Dordogne la constitution « d’un hospice des réfugiés de la Dordogne, établissement départemental du Bas-Rhin » et l’octroi d’une avance de l’Etat de 150 000 F 4.

     Le service de santé militaire fournit du matériel médical et chirurgical, des moyens de transports (ambulances et camions), du mobilier, du matériel de couchage et de la vaisselle ; le service des réfugiés de la préfecture de la Dordogne du mobilier et de la literie ; l’ancienne cuisine populaire de la mairie de Strasbourg ce qui lui restait de ses stocks alimentaires et des ustensiles de cuisine. Toutes ces avances pouvaient être estimées à la somme de un million de francs 5. C’est qu’il fallait entièrement rééquiper l’hôpital, « même les prises électriques installées en 1939 avaient été rapatriées sur Strasbourg 6 ».

    Prévu initialement pour 100 à 120 lits, l’hôpital ne tarda pas à se remplir au-delà des espérances. C’est qu’en dehors des réfugiés alsaciens ou autres, la réputation des professeurs de la faculté de médecine de Strasbourg attirait aussi une clientèle régionale qui ne pouvait plus aller se faire soigner dans les hôpitaux de Bordeaux situés désormais en zone occupée.


L’hôpital du maquis

    « Lieu de refuge et de placement pour de nombreux jeunes gens astreints au travail obligatoire, alsaciens, lorrains et autres, Clairvivre devint un véritable centre de résistance et l’hôpital des réfugiés devint l’hôpital du maquis. Il suffit de faire allusion aux "coups de fourche" que soignait le professeur Fontaine -les blessures par balles figuraient sous ce nom - pour rappeler la part hardie et souvent bien dangereuse que l’équipe de Clairvivre a prise dans le mouvement de résistance et de libération nationale 7 ».

Le drapeau français y fut hissé dès le lendemain du débarquement allié en Normandie.

Le nombre total de blessés du maquis soignés à Clairvivre se monta à plus de 250 à partir du second semestre 1943 8.

Retour en Alsace

    À partir du printemps 1945, l’hôpital prépara son retour en Alsace. Une grande partie du personnel fut rapatrié à Pentecôte. Le restant et tout le matériel quitta la gare d’Hautefort le mardi 19 juin et arriva en gare de Strasbourg le jeudi 21 juin 1945.

    Il reste à Clairvivre un cimetière dit « des Alsaciens 9 » où a été installée la cloche Odile offerte par de jeunes Alsaciens en 1942 et qui porte l’inscription : Alsatia peregrina 1941.‍


Catherine et François Schunck (texte publié dans "Mémoire vivante" n°22 - mars 2022)


Notes et références :‍

  • 1 - Jacqueline Desthomas, Jean-Jacques Joudinaud, Clairvivre ... de l’utopie à la réalité, éd. de la Tuilière, 1999
  • 2 - Office municipal de la statistique de Strasbourg, Compte-rendu de l’administration de la ville de Strasbourg 1935-1945.
  • 3 - idem
  • 4 -  AMS, 214 MW 554, lettre du Directeur régional des réfugiés à Vichy au préfet de la Dordogne en date du 25 septembre 1940
  • 5 -  AMS, 7 AH 590, lettre de l’administrateur délégué au ministre Directeur des réfugiés du 12 novembre 1940
  • 6 - J. Desthomas, op. cit. p. 79
  • 7 -  Office municipal de statistique de Strasbourg, op. cit.
  • 8 -  AMS, 5 AH 582, PV de la réunion de la commission administrative du 12 septembre 1944
  • 9 -   Voir le livre de Christophe Woehrlé, La cité silencieuse, Clairvivre-Strasbourg 1939-1945, éd. Secrets de pays, 2019