Histoire d'un commerce de Périgueux, la maison Michard-Ardillier

De WikiShap
Maison Labasse

Le visage d’une ville change au cours du temps ; pour écrire son histoire, il faudrait reconstituer celle de l’occupation de ses rues, l’évolution des commerces qui lui donnent forme. Certains disparaissent avec la transformation de la société et ce sont en même temps des métiers que l’on oublie. Par exemple, en 1885 à Périgueux, on comptait 6 marchands de charbon, 14 sabotiers, 3 fabricants et marchands de chandelles et cierges, 39 cordonniers. Pour les commerces de bouche, on recensait 34 bouchers, 20 charcutiers, 41 boulangers, 16 marchands de comestibles truffés...      

     Dix ans plus tard, à l’angle de la rue Gambetta et du cours Montaigne, la nouvelle « Maison Labasse » accueillait le magasin de nouveautés « Au Petit Paris », sur le modèle d’un grand magasin parisien. Presque tous ces établissements ont disparu ou changé de place. Ceux qui restent, transformés, appartiennent au patrimoine vivant de la ville.‍

Henri Ardillier

À ce tournant du XIXe et du XXe siècle, 18 marchands de chaussures étaient établis à Périgueux. Parmi eux, le fondateur de la maison Michard-Ardillier, Henri Ardillier, dont la clientèle était aussi bien citadine que rurale. À la campagne, le lourd sabot était roi, alors que les ouvriers agricoles marchaient souvent pieds nus. En ville, hommes, femmes et enfants portaient des chaussures et des chaussons, parfois fabriqués dans la région. Ces articles coûteux devaient durer de longues années.

‍‍Un premier magasin rue Taillefer

  Henri Ardillier s’est installé en 1878 en haut de la rue Taillefer, c’était à l’époque la grande rue commerçante de Périgueux. Sur la carte postale, on devine à gauche l’enseigne de la boutique.

Il développa son affaire qui finit par devenir une petite entreprise florissante ; son rayonnement s’étendit même aux colonies françaises en Afrique. Cet esprit d’entreprise était soutenu par une dynamique familiale : parmi les 8 enfants d’Henri Ardillier, tous engagés dans la chaussure, Irène épouse le notaire Étienne Michard qui doit lui aussi se convertir au métier ; il n’était pas question de s’écarter de l’œuvre du chef de clan.

Repas avril 1924

  De leur côté, chacun des enfants et conjoints travaille dans le magasin de la rue Taillefer, ou bien prend en charge une succursale ailleurs : à partir du  XXe siècle, des magasins seront ouverts à Bergerac, Sarlat, Thiviers, Ribérac, plus tard Brive, Cahors, Bordeaux, etc. Les relations entre patron et employés étaient alors fort différentes de celles de notre époque. Par exemple à Pâques, traditionnellement, un grand repas les réunissait.

Le magasin du cours Montaigne‍‍


Après le décès du fondateur, son gendre Étienne Michard prend son essor en quittant la rue Taillefer pour les boulevards. La maison s’installe en 1937 au 4 cours Montaigne, sous le nom de Michard-Ardillier. Elle devient dans les années 40 le « chausseur des boulevards ». Idée innovante d’Étienne Michard, à une époque où cette artère était encore peu commerçante.

catalogue de vente (1935)

Anticipant l’attrait du marketing, Etienne conçoit également un catalogue de ses produits.


En 1968, son fils Henri Michard, formé à l’école de la chaussure de Romans dans la Drôme, prend la suite. Il modernise le magasin et, en précurseur, fait découvrir à sa clientèle la chaussure italienne.‍


Une histoire de famille

  Si l’entreprise est toujours vivante presque 150 ans après sa fondation, cela tient en grande partie à un esprit de famille : la fille d’Henri Michard, Laurence, a laissé sa première profession, pharmacienne, pour diriger la maison avec son mari Jérôme Tenaillon, à partir de 1984. À une époque où la stabilité d’un commerce, d’une entreprise, n’est pas la règle, et où peu d’enseignes restent tenues par des propriétaires créateurs de leur fonds, l’histoire de la maison Michard-Ardillier est à l’image de celle d’une ville « d’art et d’histoire » : soucieuse de préserver la richesse d’un patrimoine transmis par quatre générations, mais aussi d’innover et de rayonner. L’histoire sociétale que révèlent ces maisons séculaires est à transmettre, au même titre que celle des monuments qui résistent au temps.

                                       Chantal Tanet (texte publié dans "Mémoire vivante" n°21 - février 2022)


Note : à l’exception des deux cartes postales, les illustrations ont été fournies par Laurence Tenaillon, arrière-petite-fille du fondateur Henri Ardillier. Je la remercie pour l’entretien qu’elle m’a accordé.