Châteaux en Périgord, nouvelles approches

De WikiShap
Couverture du dernier ouvrage paru

Créées initialement à Sireuil, à l'initiative de l'Association Culturelle de Commarque, et poursuivies depuis dans un cadre universitaire, les Rencontres d'archéologie et d'histoire en Périgord[1] organisent depuis trois décennies des colloques de haut niveau sur le patrimoine monumental du Périgord. Vingt-neuf ouvrages rendent compte de ces travaux désormais uniques en leur genre.

C’est ainsi que s’impose, en préalable, une nécessaire distinction typologique correspondant à la pluralité des constructions, elle-même reflet d’une hiérarchie castrale et d’un échelonnement multiséculaire des constructions qui aboutissent à la cohabitation de grands châteaux et de constructions plus modestes, allant des maisons fortes contemporaines de la guerre de Cent Ans aux chartreuses du XVIIIe siècle.


Château de Montaigne

  Ces grands âges de constructions ont été révélés et explorés et expliqués par l’archéologie associée à nos Rencontres. Cette association a permis de cerner un « âge d’or » châtelain en Périgord, entre la fin de la guerre de Cent Ans jalonnée de haines destructrices auxquelles succède un renouveau parfois éclatant à la Renaissance et jusqu’au milieu du XVIIe siècle.


Cette éclosion de châteaux a eu d’importantes répercussions sur le paysage, sur le fonctionnement de la seigneurie, sur les relations entre la noblesse et le monde rural, transformées par l’arrivée de nouveaux seigneurs, nobles de fraîche date, issus de la bourgeoisie des villes voisines ou plus lointaines comme Bordeaux. Seules des études de cas peuvent rendre compte de la diversité des situations qui dictent les relations du château et de la seigneurie dont il occupe le cœur et celles du monde rural, déterminées par les liens de dépendance personnelle à l’égard des seigneurs en tant que justiciers et en tant que détenteurs d’un pouvoir religieux renforcé pour les familles protestantes par l’établissement d’un culte de fief, à partir de l’édit d’Amboise (1563).


Contrairement à la réputation d’isolement fondée sur le mauvais état des routes et des chemins, la société châtelaine a su élaborer un réseau de relations propice à la circulation d’informations déterminantes pour de multiples expériences qui sont autant d’innovations, dont les plus visibles datent de l’époque moderne : agronomie, industrie rurale, création et promotion d’une gastronomie diplomatique et conviviale destinée aux hôtes de marque… Elles sont la conséquence et le reflet d’une curiosité scientifique et d’une diffusion des idées dont témoignent abondamment les bibliothèques châtelaines, les correspondances et les mémoires.

  Les événements contemporains des premières années de la Révolution servent de révélateurs à une hostilité accumulée au cours des siècles, et générateurs au XVIIIe siècle de procédures qui en disent long sur les conflits d’un monde rural où grandit la contestation du système seigneurial sous diverses formes. Certains châteaux franchissent sans encombre la période révolutionnaire. D’autres sont l’objet d’agressions de la part des tenanciers ou subissent des représailles qui peuvent entraîner le départ en émigration de leurs hôtes, ou en être la conséquence. D’autres enfin sont condamnés à la destruction, avec l’assentiment ou non des représentants en mission tels les châteaux de Badefols et de La Force, réduits à l’état de carrière : parfois leurs pierres sont régénérées dans des constructions utiles au plus grand nombre comme la reconstruction du pont de Bergerac.

Château Magne

Au lendemain de la Révolution le château devient le lieu des mises en scène de la notabilité. Elles reposent sur deux types de fondations. Les unes s’inscrivent dans la continuité des fonctions liées à la présence du château, à son entretien et aux transformations qui, à travers les époques, correspondent aux variations des goûts et de la mode. Les autres, au contraire, représentent des changements, parfois des ruptures qui se lisent dans l’environnement des châteaux. Désormais ceux-ci sont de plus en plus souvent séparés des villages et de leurs habitants par la constitution de parcs de styles variés, par l’enfermement à l’intérieur de grilles aux portes monumentales et par l’amplification des séjours saisonniers de leurs hôtes (cérémonies familiales, vacances, …). Parmi ces changements figure l’attrait pour des innovations qui portent la marque des nouveaux châtelains. Ces éléments de continuité et ces nouveautés conditionnent de nouvelles représentations bien illustrées par l’œuvre d’Eugène Le Roy aussi bien dans la description du cadre de ses romans que dans ses personnages avec pour héros emblématique Jacquou le Croquant. Avec les XXe et XXIe siècles s’amorcent pour les châteaux, des destins originaux : ainsi dès le début du XXe siècle, l’installation de colonies de vacances, d’établissements de soins (sanatoriums, préventoriums) en attendant, avec l’essor spectaculaire du tourisme, leur transformation en hôtels de luxe ou en appartements résidentiels.

Anne-Marie Cocula et Michel Combet


Ce sujet fut évoqué par AMC et MC lors d'un dîner-conférence le 18 mars 2022.

Texte issu de "Mémoire vivante" n°24, mai 2022

  1. On pourra consulter l'historique des Rencontres sur le site : https://rcperigord.hypotheses.org/